L'absent

o-negatif

      Les poignets de l'homme étaient pris dans un grand foulard, ligotés à un meuble. Les nœuds avaient été réalisés avec adresse. Ses mains étaient engourdies et il lui aurait été difficile de se libérer. Il était allongé sur le dos, bras par-dessus la tête. De l'encens brulait un peu partout dans la pièce, alourdissant l'atmosphère.

      Where are all the flowers gone, un morceau de folk des années 60, craquait sur le tourne-disque ; pas exactement une musique pour baiser mais une chanson assez légère et innocente pour souligner l'allure de la femme qui se promenait nue à travers le salon, fumant une cigarette et souriant parfois avec bienveillance à l'homme entravé à ses pieds. Elle portait seulement des bottes. Son visage à lui exprimait un mélange d'appréhension et d'envie, imprimé sur un masque de tristesse. Elle marchait autour de lui, l'enjambait. Elle était mince, et semblait douce. Elle avait de petits seins. Elle jouait avec ses cheveux très noirs, très courts. Ses doigts glissèrent le long de sa nuque, secouèrent un moment les pointes encore humides. Elle s'étira en marchant, bras tendus vers le plafond, sur la pointe de ses santiags.

       Elle érigeait un corps fin et délicat, presque enfantin. Elle devait peser trente grammes, à cet instant. Il se dit que ses jambes étaient magnifiques. Elle écrasa sa cigarette dans une plante, chantonna un refrain et vint s'accroupir sur la poitrine de l'homme. Elle le regarda longtemps, lui offrit deux doigts à sucer et dit : « A partir de maintenant, tu ne penses plus à rien ». Puis elle se mit sur ses genoux et vint frotter son sexe déjà mouillé le long du nez de l'homme, de ses lèvres et de son menton. Elle sentait fort, elle avait l'odeur d'un coquillage rare. Il la léchait avec application. Elle le jugea encore trop conscient de ce qu'il faisait, trop impliqué pour prendre du plaisir. Elle pivota alors brusquement et lui offrit ses fesses, son cul de jeune fille. Parfait.

      Il passa la langue le long de sa fente, appuyant juste ce qu'il fallait, remontant avec patience vers son trou préféré, son minuscule trou, qu'il parcourut longtemps du bout de la langue, entendant la femme gémir, la sentant se tordre et partir, tortiller les fesses, parcourue de frissons, affolée. Les muscles de ses cuisses étaient bandés. Elle semblait prête à bondir.

       Mais lui, rien. Toujours pas. Elle s'allongea sur son torse, passa les mains derrière les cuisses de cet homme, et prit dans sa bouche son sexe en entier, sa bite absente, ce petit oiseau blessé. Elle suça les couilles, longtemps, avidement, interrompue seulement par les vagues de plaisir qui la traversaient tandis que l'homme s'obstinait à lui dévorer le cul.

***

Plus tard, elle était allongée à plat ventre, à côté de lui. Leurs corps ne se touchaient plus. Elle passait son index au-dessus d'une bougie qui répandait des coulées de cire sur le parquet. Lui, toujours sur le dos, regardait le lustre, peut-être à travers le plafond, on ne sait où. Il fermait les yeux de temps à autre et de longues rides apparaissaient sur son front. Sa respiration était profonde, désespérément calme. Il tirait parfois sur une cigarette, posée en équilibre sur le bord de la table basse. Il jeta un œil à sa bite, comme on attarde parfois son regard sur un déchet jonchant la rue. Il articula :

— J'aurais préféré perdre l'usage de mes jambes.

— Personne n'a dit que ça devait être définitif, répondit la femme.

— C'est pas seulement ça, fit-il en désignant son sexe endormi. C'est moi. Tout entier. Je suis fatigué.

— Absent. Pas fatigué.

Il ne répondit rien. Son silence faisait parfaitement l'affaire.

— Si je ne peux pas te ramener moi-même, tu devrais essayer autre chose. En voir une autre.

— …

— Essaie d'en baiser une autre et reviens-moi.

— …

— Tu me manques.

Elle pinça la mèche de la bougie entre son pouce et son index. La flamme disparut dans un crépitement et la femme sentit un peu de douleur la traverser. Trop vite, pas assez fort. Elle aurait voulu se consumer toute entière. Elle se leva et partit. Il l'entendit faire couler un bain, renverser des choses et enlever ses bottes.

***

Il avait trouvé la carte par hasard, avec la photo en noir et blanc de l'étonnant maître Kemo Cissé, célèbre professeur et grand marabout. Une de ces cartes qui tapissaient autrefois les cabines téléphoniques, à l'époque où elles faisaient encore partie du décor. Il l'avait d'abord gardée dans son portefeuille pour la montrer à ses amis, comme une blague.

A disposition pour tous vos problèmes, même les plus désespérés, l'étonnant Kemo Cissé, sérieux et grand génie, promet le retour de l'être aimé, capable de bénir un chantier ou éviter un divorce. Plus jamais de panne de scooter et de clés qui disparaissent. Désenvoutement garanti. Toujours de la place pour vous garer.

Bien entendu, entre autres choses, maître Kemo Cissé, très fort et compétent, redressait tous les sexes tordus, et pouvait soigner l'érection molle (prodigue son pouvoir à distance par téléphone ou par fax). L'homme sourit tristement en composant le numéro de téléphone du professeur. Il laissa un message à Kemo Cissé « Je ne crois pas une seconde à vos conneries mais je n'arrive pas à bander non-plus. Si vous pouvez m'aider, rappelez-moi dès que possible » et il laissa ses coordonnées.

***

      L'appartement du marabout se situait au quinzième étage d'une tour d'habitation, le long du périphérique extérieur. Le grand maître n'avait pas l'air très en forme. Il se reposait sur un canapé convertible, les coudes sur les genoux, tétant une bouteille de bière. Il portait le maillot de l'équipe nationale de football du Cameroun. « Est-ce qu'au moins tu bandes au réveil, mon ami ? » lança-t-il en direction du balcon, une sincère préoccupation dans la voix.

     L'autre homme était accoudé à la rambarde, sur la terrasse, observant la rue et surveillant sa voiture, minuscule. Il expliqua une nouvelle fois son impuissance, sa fatigue ou son absence ; et il se demanda ce qu'il pouvait bien foutre ici.

Jimmy Hendrix ressassait un air de blues sur une douze cordes.

Kemo Cissé se redressa un peu et dit, tapotant la table basse du bout de son index : « Deux cent euros d'honoraires. Keshia, elle peut redresser ton pénis ». « Qui est Keshia » ? demanda le visiteur en se retournant pour la première fois. Kemo Cissé vida sa bière, rota et s'anima :

« Mon habile femme ! Stupeurs et tremblements autour de ses reins ! Elle, saura quoi faire. Son talent est très grand. Sa mère était pareille. Elle effectue le contrôle technique de ton érection, elle va tout vérifier mon ami. Tu ne seras pas déçu ».

L'homme secoua la tête en signe de dépit amusé, empila quatre gros billets sur la table, et les poussa d'une pichenette vers le célèbre marabout international. Kémo Cissé appela dans une langue que l'homme ne comprit pas et une jeune femme fit son apparition dans la pièce. Elle portait une longue robe d'été. Elle était plus noire que la nuit et assez jeune pour être la fille de l'étonnant guérisseur. Elle prit l'homme par la main et le guida jusqu'à une autre pièce. Kemo Cissé quitta l'appartement en claquant ostensiblement la porte.

***

Ils étaient nus. Lui, assis en tailleur, au milieu d'un grand tapis, comme Keshia l'avait exigé. Elle, installée sur les cuisses de l'homme, cambrée, frottant son sexe contre le sien. La main de Keshia entourait la verge, comme une fleur, très légèrement. Elle passait la bite sur son clitoris, et ne semblait pas en attendre davantage. « Nous avons le temps. Ne fais pas un geste. Tu es très beau ». Il regardait les seins lourds de Keshia. Elle lui avait interdit de la toucher. Il crevait d'envie d'y gouter et sentit son sexe se rebeller un peu, entre les jambes de la jeune femme. Mettant à profit ce début d'engouement, Keshia offrit sa poitrine à la bouche de l'homme, qui passa une langue le long des tétons, durs comme le bois. Elle s'écarta immédiatement. Elle plaça son visage en face du sien et dit : « Montre-moi ta langue ».

       L'homme s'exécuta. Elle prit cette langue dans sa bouche et la pressa avec ses lèvres, avant de venir en effleurer le bout avec la sienne. Keshia continuait à faire jouer la queue sur son clitoris. « Tire ta langue aussi loin que tu peux » lui ordonna-t-elle. Il obéit. « Plus loin encore… Plus loin » fit-elle. Tandis qu'il s'exécutait, il sentit son corps traversé par un courant invisible et violent, comme une corde qui se tend. Sa langue et son sexe semblaient emprunter le même chemin, vouloir s'allonger ensemble, aussi loin que possible, et plus loin encore…

L'homme ressentit un vertige presque désagréable, mais il sut, quand Keshia exerça une pression plus forte sur sa bite, qu'il était dur, plus solide qu'il ne l'avait été depuis des années. « Tu es très beau » dit-elle encore, et elle glissa le membre au plus profond de son corps, en une fois. L'homme cria. Il ne savait pas s'il hurlait de douleur ou de plaisir. Son érection retomba assez vite et il lui fut impossible de jouir.

Keshia se dégagea. Elle prit les mains de l'homme dans les siennes et lui intima de se lever. Quand ils furent debout, face à face, elle plaça les mains de l'homme autour de son cou. Puis elle le gifla. Fort. Elle sentit alors les mains se crisper autour d'elle et en ressentit beaucoup de satisfaction. Elle le gifla une nouvelle fois, plus violemment encore. L'homme ajusta sa prise autour du cou de Keshia et plongea ses yeux dans ceux de la jeune femme. Il lâcha prise. Il bandait à nouveau. Elle attrapa son sexe d'une main et conduisit l'homme à travers l'appartement, le trainant derrière elle, augmentant et relâchant la pression. Ils se promenèrent ainsi pendant un certain temps. Elle riait parfois. Et il riait avec elle.

Keshia finit par se jeter au sol, fesses en l'air, et il dut la prendre comme une chienne. Il n'y parvint pas longtemps, sentant son plaisir le tuer. Il jouit en elle et s'écroula sur le dos. Il pleurait. Sans aucune honte, ivre d'un bonheur insoutenable, il pleurait à chaudes larmes. Keshia se coucha alors sur lui, glissa contre son corps et le prit, encore bien dur, dans sa bouche. Elle concentrait ses efforts autour du gland. Il eut la certitude, à cet instant, que Keshia effectuait les ultimes ajustements, les derniers réglages, les contrôles de routine. Il se sentit guérit et pleura de plus belle, saisit de violents sanglots.

***

Sa voiture avait disparu quand il quitta l'immeuble de Kemo Cissé. La fourrière l'avait embarquée. Toujours de la place pour se garer, songea l'homme en jetant un œil vers le quinzième étage. Il appela un taxi et rentra chez lui, retrouver la femme aux cheveux courts. Elle était endormie sur le canapé, sa joue posée sur un livre ouvert. Elle portait une chemise de nuit, qu'il remonta au-dessus des hanches.

Il la regarda longtemps. Puis il prit la main de la femme et la posa sur son sexe, sa bite droite, tendue, guérie. Elle ne prit même pas la peine d'ouvrir les yeux en guidant le miraculé vers sa bouche. Elle le captura entre des lèvres, et ne voulut plus le lâcher. « Je suis revenu » dit l'homme, et il prit le livre, marqua la page, le posa un peu plus loin et se concentra sur la langue qui passait sur lui, incrédule.

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