L'acuité du rêve Américain
patrickgilbert
Racontez votre Amérique :
Roger contemplait avec admiration et un brin d'émotion la beauté architecturale du mémorial Lincoln. Ce monument situé à Washington fut érigé en l'honneur du seizième président des États-Unis d'Amérique. Le jeune homme était très dithyrambique à l'égard d' Abraham Lincoln qui marqua l'histoire de l'humanité de son empreinte en abolissant l'esclavage aux États-Unis d'Amérique en 1863. Le jeune Français d'origine Camerounaise était arrivé la veille de Villeneuve sur Orge , ville cosmopolite, située au sud de Paris, de l'autre côté du périphérique, comme on dit de manière dépréciative. La ville subissait un chômage endémique , parfois supérieur à deux fois la moyenne nationale. La pluralité des communautés rendait parfois la cohabitation difficile entre habitants. Villeneuve sur Orge n'était pas une poudrière mais la ville fut néanmoins le théâtre d'un fait divers sordide qui fit la une des journaux télévisés, il y a quelques années. Nuitamment, de jeunes gens désœuvrés s'agglutinaient systématiquement dans les cages d'escaliers et dans les halls d'immeubles HLM, aux étages interminables. Roger appréciait que modérément le regroupement grégaire de ses jeunes désocialisés devant son immeuble de vingt étages. Il était ulcéré par le tapage nocturne occasionné par ces jeunes en déshérence mais contenait son ire de peur de représailles. Il avait terminé ses études d'ingénieur commercial depuis trois ans et ses recherches d'emploi en adéquation avec ses diplômes ne débouchèrent sur rien. Son avenir était guère reluisant, le jeune homme mettait pourtant le cœur à l'ouvrage et se dépêtrait pour s'extirper du chômage mortifère, mais ses efforts étaient malheureusement vains. Désespéré et un tantinet amer, Roger se disait victime de discrimination spartiate . Villeneuve sur Orge était négativement connu des employeurs affirmait-il comme pour s'exonérer de ses échecs répétés.
Le jeune homme de vingt cinq ans vivait toujours chez ses parents et cette situation de dépendance parentale lui déplaisait viscéralement. Il en éprouvait même de la honte et de la gêne à tel enseigne qu' il ne tolérait guère que ses amis lui rendirent visite. Ses parents avaient fini par lui fixer un ultimatum. Il devait exercer un emploi, fût-il dégradant , dans les six prochains mois , sous peine d'être exclu du domicile familial. Roger vivait désormais avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête et susceptible de lui tomber immanquablement dessus à l'issue des six mois fatidiques d'injonction parentale.
Le jeune homme, ulcéré et dépité par sa situation précaire, pris la décision d'émigrer aux États-Unis pour vivre le rêve américain. Le slogan de campagne du président OBAMA '' Yes we can'' conforta sa décision de tenter sa chance au pays de l'oncle SAM. Il réunit ses parents, les cinq frères et sœurs de la fratrie et leur fit part de son désir d'ailleurs : '' Papa, maman, je suis l'aîné de la fratrie, mes recherches d' emploi d'ingénieur commercial ont toutes été frappées du sceau de l'échec.J' ai tout essayé pendant trois ans , deux cent lettres de réponses négatives d'employeurs s'amoncellent dans mon armoire, je ne vois guère le bout du tunnel. L'ascenseur social est en panne en France, aussi j'ai pris la décision d'émigrer aux États-Unis d'Amérique pour vivre le rêve américain
Hors de question! Objecta avec virulence la maman de Roger. Tu vivras plutôt le cauchemar américain, ton anglais est par ailleurs très approximatif. Redescends sur terre fiston. Pourquoi n'exerces-tu pas un emploi sous qualifié? Agent de sécurité, agent de nettoyage, pourvu que tu aies un salaire, fût-ce celui de la peur ou de la pénibilité ?
Roger, n'en démordait pas, il voulait coûte que coûte émigrer aux États-Unis pour vivre le rêve américain, car il était persuadé que l'ascenseur social fonctionnait très bien au pays de l'oncle Sam. Pays où le rêve de Martin Luther King s'est matérialisé à travers l'élection à deux reprises d'un noir à la présidence .
Le jeune homme regarda ses parents droit dans les yeux, puis saisit d'émotion, sanglota : Mes chers parents, je vous aime, je vous en conjure laissez-moi partir aux États-Unis, accordez-moi votre bénédiction. Maman, je ne puis décemment exercer un emploi en inadéquation avec mes compétences, ce serait brader mes diplômes chèrement acquis à la sueur de mon front. Maman, tu me recommandes d'exercer un emploi sous qualifié ? Je ne le puis. Tu connais la devise de César? Ou empereur ou rien. Je serai donc ingénieur commercial ou rien.
A ces mots de Roger empreints de lyrisme et de sagacité, les membres de la famille se levèrent comme un seul homme et l' étreignirent affectueusement . Le jeune homme obtint par ce geste affectif , l'adoubement de la fratrie et des parents qu'il réclamait de tous ses vœux.
Mon fils, dit le papa de Roger, les yeux englués de larmes. En tant que père de famille, le dernier mot me revient. Je te souhaite un franc succès dans ta nouvelle vie aux États-Unis , je t'accorde ma bénédiction et je souhaite que tu puisses vivre le rêve américain
Roger revigoré par les paroles lénifiantes et encourageantes de son paternel pouvait désormais voyager sous d'autres cieux plus cléments, le cœur léger et l'esprit conquérant.
Le jeune homme admirait depuis bientôt une heure, sous un soleil de plomb, la statue monumentale D'Abraham Lincoln assis sur la gravure de deux de ses plus célèbres discours. Il s'était promis de se rendre en premier lieu à Washington pour honorer l'ancien président abolitionniste et le défenseur des droits civiques Martin Luther King qui prononça ici même le 28 août 1963 son célèbre discours ''I have a Dream'' qui clôturait la marche vers Washington pour le travail et la liberté.
Le jeune homme connaissait par cœur l'intégralité du discours du célèbre pasteur de Montgomery, dont il était un grand admirateur et un thuriféraire.
Roger assailli par l'émotion , déclama solennellement à haute et intelligible voix, le discours '' I have a Dream''
'' J'ai fait un rêve profondément ancré dans le rêve américain... Je rêve que l'état du Mississippi lui-même, un état qu'étouffe la chaleur de l'oppression soit transformé en une oasis de liberté et de justice... ''
Soudain, une voix au timbre plus puissant que le sien poursuivit la déclamation du discours
[Retournez au Mississippi ; Retournez en Alabama, retournez en Caroline du Sud, retournez en Louisiane, retournez à vos taudis et à vos ghettos dans les villes du nord en sachant que d'une façon ou d'une autre , cette situation peut changer et changera. Ne nous vautrons pas dans les vallées du désespoir. ''
Roger se retourna machinalement, et tomba nez à nez avec un homme de couleur noire au port altier, et d'un âge assez avancé. Le vieil homme ravit de son effet laissa échapper malicieusement un rictus.
Je m'appelle Blaise Senghor, j'ai soixante dix sept ans, dit le vieil homme dans un français impeccable. Ne m'en voulez point car face au lyrisme et au verbe fleuri, du pasteur King, personne ne peut rester impassible. Son discours '' I have a Dream '' parfumé de jolies citations et de métaphores édifiantes me donne systématiquement la chair de poule. Je me suis imprégné de ce discours pour réussir ma vie professionnelle.
Je ne vous en veux pas du tout, répondit Roger avec une urbanité non feinte. Je suis plutôt effaré d'entendre quelqu'un parler correctement ma langue maternelle à Washington . Vous avez sans aucun doute vécu en France !
J'y ai vécu vingt ans , répondit le vieil homme, puis trente cinq aux États-Unis , je suis Fran
çais d'origine Sénégalaise. L'ascenseur social était en panne en France, j'ai dû emprunter l'escalier social, et j'ai gravi les marches une à une pour parvenir au sommet de l'échelle sociale. Mon ascension fut jalonnée de peaux de bananes jetées par des esprits chagrins et de malfaisance sociale. J'ai trébuché plusieurs fois, je suis même tombé plus bas que terre mais je me suis relevé plus déterminé car je voulais absolument connaître le côté ensoleillé de la réussite sociale. J'ai atteints mes objectifs , puis la société dans laquelle je travaillais m'a muté aux états-unis où j'ai connu une réussite fulgurante.
Des questions existentielles me taraudèrent alors l'esprit. Quel est le secret de la réussite ? Pourquoi certaines personnes utilisent a minima leur potentiel créatif et s'étonnent par la suite de vivre la vie qu'elles n'ont pas désiré ? J'ai donc créé une association spécialisée dans le développement personnel pour permettre aux personnes en proie au doute, de réaliser leurs rêves.
Vos propos sont très édifiants, répondit Roger. Ils sont à contre-courant de ceux misérabilistes, que j'entends depuis ma plus tendre enfance. Je compte énormément sur vous pour vivre mon rêve américain, aussi je souhaiterai que vous soyez mon mentor! Que dois-je faire pour voir le bout du tunnel Monsieur Senghor?
Pour sortir de la nuit noire du désenchantement, vous devez impérativement changer d'état esprit et annihiler vos ennemis intérieurs : Le doute, la résignation, le manque de confiance en vous , le défaitisme... Croyez-vous qu'on puisse décemment mettre du vin nouveau dans de vielles outres? Que nenni...
Jeune homme, débarrassez-vous du vocable ''impossible'', alors le soleil rayonnant de la réussite se substituera à la pénombre de vos insuccès. Vous êtes une étoile Roger, la providence en a décidé ainsi, persuadez-vous en ! Et personne, ne peut empêcher les étoiles de briller au firmament.
Cessez de vous définir à travers les larmes et la résignation mortifère. Le rêve Américain est à votre portée à condition d'orienter positivement votre tournure d'esprit. Ça ne sera pas facile, j'en conviens. Je vais m'atteler à désaffecter votre conscience viscéralement imprégnée de la culture de l'échec et du renoncement. Roger dit le vieil homme d'un ton péremptoire: Espérez le meilleur et vous l'obtiendrez
Roger, écoutait religieusement le vieil homme. Il n'avait jamais entendu de discours aussi revigorant et iconoclaste. Le propos du vieil homme était atypique et constructif. Le jeune homme dans la banlieue nord où il vivait entendait toujours le même son de cloche victimaire et compassionnel. Le septuagénaire lui fit comprendre qu'il était en grande partie responsable de ses échecs et qu'il ne pouvait décemment les imputer aux autres. Roger était aux antipodes de la pensée unique misérabiliste et formatée de Villeneuve sur Orge. Pensée qui dédouane ontologiquement les jeunes sans emplois, et vitupère les pouvoirs publics et les employeurs accusés à tort ou à raison de discrimination spartiate.
Votre discours plein de sagesse et de perspicacité m'a littéralement bouleversé , dit Roger au vieil homme, le visage radieux et illuminé d'un joli sourire qui en disait long sur sa félicité. Enseignez-moi les secrets de la réussite, je suis tout ouï. Nous sommes aux États-Unis , le pays le plus puissant du monde, qui historiquement concentre les plus grands entrepreneurs... Bill Gates, Mark Zuckerberg, Rockefeller, Steve Jobs, Walt Disney.
Le septuagénaire interrompit Roger, qui égrainait les noms des entrepreneurs américains les plus célèbres. Venez jeune homme, nous avons passé assez de temps au mémorial Lincoln, allons nous restaurer, je connais un très bon restaurant situé à quelques encablures d'ici. Ensuite il sera temps pour vous de vivre la vie que vous vous êtes imaginée. Le rêve américain n'est point chimérique pour peu que vous ayez un tantinet confiance en vous.
Pas mal avec un petit bémol en guise de conseil. Surveillez vos adverbes, présentement trop nombreux.
· Il y a environ 10 ans ·petisaintleu