Lady gangster MDR

le-levrier

Dans cette chambre d’hôtel silencieuse où filtrent à peine les premiers rayons du jour, je souris pour moi-même, un peu nerveusement. La situation est étonnante… Qui êtes-vous, mademoiselle ? Quand et comment vous ai-je rencontrée ?  A l’heure où je vous écris, vous dormez encore, là, à côté de moi. Vous ronflez légèrement. Une fleur bleue est encore accrochée dans vos cheveux. Elle est toute froissée. Je vous trouve belle.

Je fouille mes souvenirs. Hier matin j’étais on ne peut plus célibataire. Endurci, coriace, presque un peu misogyne. Et maintenant, vous ? Que s’est-il passé ?


Des images surgissent des tréfonds de mon cerveau douloureux. Je suis chez Léon. Comme chaque jour à la même heure, j’y bois ma fin d’après-midi. Je vous revois entrer dans le bistro, commander un verre, tourner la tête vers moi, me sourire un instant. Je me rappelle la sensation depuis longtemps oubliée du cœur qui s’accélère, de l’estomac qui plonge, du visage qui s’embrase.


Tout me revient progressivement, à la façon des rêves. Je me souviens les éclats de rire partagés avec vous au comptoir. Je me souviens mon incrédulité… une femme, avec moi ? Avec mes yeux de merlan frit et ma coiffure à la Mad Max ? Avec moi, qui connais des centaines de blagues cochonnes mais deviens verdâtre à la seule évocation d’un mot câlin, d’un dîner en amoureux, d’un « Je t’aime » ?


Comme nous avons ri, ensemble… Durant ces quelques heures, Mademoiselle, j’ai vraiment eu l’impression d’être un séducteur formidable. J’étais Don Juan, Casanova, Valmont, irrésistible, et drôle, et beau ; et vous, je vous voyais déjà dans mon lit. Las ! Emporté par mon élan, avide de laisser derrière moi les inhibitions que je traîne depuis si longtemps, j’ai trop bu. Il m’a fallu vous quitter, un peu brusquement certes, pour aller payer ma dette d’alcoolique aux toilettes Homme de chez Léon. Quand je suis revenu, vous n’étiez plus là. Quelle ne fut pas ma colère, contre moi-même et contre vous ! Si j’avais eu un revolver sous la main, j’aurais immédiatement tiré une balle dans le front du premier venu.


La suite de la soirée m’échappe encore dans ses détails. Nos retrouvailles inattendues, un peu plus tard au bar d’en face, notre rabibochage, cette fin de nuit magnifique, côte à côte dans ce lit inconnu, saouls et hilares… Tout cela est si brumeux ! Il ne m’en reste que les bribes. L’essentiel. Phonétique du souvenir.


Et puis ce matin, il y a mon réveil à côté de vous, dont je ne connais toujours pas le nom. Et, alors que je cherche dans votre sac une carte de visite portant vos coordonnées, le métal froid d’une arme à feu sous ma main. Et ce mouchoir taché de sang. Et ce Cerbère aux allures de gangster chinois, qu’on voit par la fenêtre monter la garde devant l’hôtel.


Je dois vous l’avouer, Mademoiselle, tout cela me fait peur. Pourquoi cette arme, pourquoi  ce sang, pourquoi ce type patibulaire ? Je n’ai aucune envie de me faire passer à tabac pour avoir passé la nuit avec vous ! A moins que ne m’attende, peut-être, un plongeon à caractère plus définitif ?


Non, décidément, je pleure de devoir vous laisser là, Mademoiselle, mais je préfère vivre célibataire que mourir amoureux. Je m’enfuis. Pardonnez-moi. Je vous embrasse. Adieu.

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