L'âge de raison

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Ma chère petite Emilie,

Te voilà à l’âge de raison. Tu ne le sais pas encore, mais tu es à l’aube des meilleures années de ta vie. Bientôt, d’ici quelques mois, tes parents déménageront et ce sera pour toi une renaissance. Tu quitteras le village perdu de tes premières années pour fuir vers la ville. Une petite ville, mais qui te semblera immense alors !

Là bas, tu rencontreras Marie, petite peste de rouquine qui deviendra très vite ta meilleure amie. Ensemble vous referez le monde, votre monde. Un monde dans lequel vous êtes les héroïnes d’infinies aventures.

Ce n’est pas un roman, ce n’est pas un film, ni même un jeu. C’est bien réel. Vous y croyez. Et si certaines choses ne le sont pas, l’essence du monde imaginaire : l’émotion, est bien vraie.

Tantôt chevauchant de fougueux pur-sang dans la cour de l’école, tantôt bravant la tempête au fond du jardin,  ou tentant de sauver ce bon vieux George qui s’est encore fourré dans un très mauvais pas. Vous n’avez pas peur du danger, ça non ! Et quand l’ignoble cavalier rouge s’en prend à l’une d’entre vous, l’autre n’est jamais bien loin pour la délivrer.

Personne ne comprends, vous passez pour des folles, car jusqu’à vos douze ans, vous ne quittez plus le monde imaginaire. Mais jamais vous ne regrettez, vous vous sentez plus fortes, unies dans votre marginalité. Vous savez bien d’ailleurs qu’aucun d’entre eux, ces autres qui vous jugent, aucun n’a vécu la moitié de ce que vous vivez.

Aujourd’hui le monde invisible a fermé ses portes, mais ni Marie, ni moi n’avons oublié ses trésors. C’est pourquoi je t’écris aujourd’hui Emilie, avant qu’il ne soit trop tard, pour te remercier de ton innocence que je n’ai jamais perdue.

Marie est morte après une vie merveilleuse. Elle a fondé une grande famille et transmis sa joyeuse folie à ses enfants. Quant à moi, j’ai beaucoup voyagé, cherchant désespérément à retrouver un monde dont les portes m’étaient désormais closes. Aujourd’hui j’achève mon histoire et en regardant le passé, je comprends que tu m’as offert le plus merveilleux des cadeaux : l’enfance.

Emilie.

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