Laisse-moi la vie

samuela-law

 David ne s'impatientait pas. Le port fier et arrogant, il avait posé un pied sur une souche gisant parmi les arbres de la forêt, et enlevait toute la boue qui était restée collé à sa botte. Il savait pourquoi il était là. Ce n'était pas la première fois qu'il faisait ce boulot, alors il n'y avait pas de quoi s'affoler. Il pourrait dire qu'au fil du temps, c'était devenu son deuxième boulot. Au fil du temps, il avait appris à ne pas se familiariser avec les collègues. Car la composition du groupe n'était pas statutaire. Les employés venaient et partaient. Ils partaient plus vite qu'ils n'étaient arrivés même ! Ils ne partaient pas toujours aussi comme ils étaient arrivés ! Mais ils ne restaient pas longtemps. Il y en avait même à qui il fallait aider un peu pour qu'ils partent sans soucis. Lui, ça ne le gênait guère toutes ces allées et venues. Ça ne le gênait guère de les aider à partir. Le livreur de farine arriva. Les mains dans les poches, un bonnet sur la tête, il s'approcha sans se soucier, et dans un large sourire lança :

– Salut David ! Alors, quoi neuf ? T'aurais pu trouver un coin plus sympa ! On se les gèle ici ! Et en plus le brouillard arrive à vitesse grand V. On a intérêt à urger !

David ne répondit rien, il le dévisagea, il lut sur le haut de la veste « Boulangerie Georud ». Il ne comptait plus aussi le nombre d'insigne qu'il avait décroché et rapporté au boss. D'un geste vif, il tira son flingue de sa poche et le pointa sur Claude.

–Mais qu'est ce qui te prend ? Claude avait levé instinctivement les mains, et reculé d'un pas.

Mais voyant le regard froid de David, il comprit que celui-ci ne plaisantait pas.

– Mais…pourquoi ? Qu'est ce que j'ai fait ? C'est le boss qui le veut ?... j'ai toujours respecté mon contrat, David ! Tu le sais bien… j'ai jamais triché…

David l'empoigna par le col et avec une force herculéenne, l'obligea à s'agenouiller et à croiser les mains derrière la tête.

– Et les bénéfs que tu glisses sous ta veste ? Tu les prends à qui ?

La voix de David était aussi glaciale que le brouillard qui s'élevait. Le ton était aussi rude que la pointe de son arme posée sur la nuque de Claude. Mais dans une ultime audace, Claude leva les yeux vers lui. La peur les avait envahis, et elle s'échappait même à travers sa respiration entrecoupée.

– Je t'en pris. Laisse-moi la vie !

Ce souffle de terreur s'éleva et figea David sur place. Il en était surpris, désabusé, foudroyé. C'était la première fois qu'il entendait : « laisse-moi la vie ». Les autres disaient : « ne me tues pas ». « Laisse-moi la vie », ces mots claquèrent ses tympans comme le clic de son arme sur la nuque de ses victimes.

Vie, qui est-il donc pour prendre la vie des autres ?

Il jeta Claude à terre, se retourna, et dit d'une voix dure pour éviter de le trahir, de trahir sa soudaine faiblesse.

– Va t-en. Vite ! Car je pourrais changer d'avis.

Claude détala à toutes jambes, il avait trop peur pour penser la raison de cette grâce. Il s'enfuie à travers la forêt sans se retourner. David mit ses mains dans les poches de sa veste, et marcha d'un pas alerte sans se retourner lui non plus, le visage dur et sévère. Une fois enfermé dans sa voiture, le visage dépité, il souffla très fort, libérant le désarroi qui le consumait depuis le moment où Claude lui avait jeté ces mots.

Et la question tambourina à nouveau ses tympans : qui était-il donc pour ôter la vie

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