L'alcoolique

une-encre-noire

La mer, le sable sous les pieds et le soleil. Une fille, belle, qui passe en bikini. La douce musique qui se melle au bruissement des vagues. Une autre fille. Le vent frais. La bière à la main. La bière.

Bruits de bouteilles qui s'entrechoquent. L'alcoolique se réveille. L'alcoolique est dans un bus, parmis d'autres alcooliques. Il a passé une rude journée. Il a mentit. L'alcoolique et ses copains alcooliques ont tous des bouteilles de bières à la main. Lui, il n'aime pas ça. Il préfère la vodka. Dans son sac à dos, il y a d'autres bières. Ce sont elles qui l'ont réveillé. C'est celle qu'il tient à la main qui le fait se rendormir. Et celles qu'il tenait avant celle-ci surtout. L'alcoolique à passé une rude journée. Il a triché.

La fille aux cheveux noirs, belle comme personne. Sa robe légère qu'elle fait s'envoler en tournant sur elle-même. Son regard, son regard aphrodisiaque, et son sourire. La voix.

-Putain, connard réveille toi et passe m'en une autre!
-Vas te faire foutre, je révais d'elle. Enculé.
Un silence qui ne signifie rien.
-Laisse tomber cette pute bordel, tu te fais du mal.
-Ta gueule.
L'alcoolique sort une bouteille de son sac. Il la tend à l'autre alcoolique. Il se dit qu'il se fait du mal s'il veut et que même s'il l'aime bien, l'autre alcoolique n'est qu'un con trop saoul pour comprendre. Alors l'alcoolique termine sa bouteille et en retire une nouvelle de son sac. Il repense à sa rude journée. Il repense à son mensonge. Aux poids qui lui fait baisser les épaules et la tête. Il a honte.

Le concert. La foule. La musique qui fait danser. Les cris et les sifflements. Le chant qui vient plus du public que de l'artiste. Les bousculades. Les secousses. 

-Monsieur, s'il vous plait, c'est le terminus il faut sortir.
Le conducteur relache l'épaule de l'alcoolique. Ses copains sont déjà sortis du véhicule et l'attendent sur le banc de l'arrêt, éclairés d'une lumière jaunâtre. Ils ont le doigt pointé vers lui et rient aux éclats. L'alcoolique sort du bus.
-Vous êtes cons les mecs.
L'alcoolique sourit malgré lui.
-Et on fait quoi maintenant?
-On a qu'à prendre un train, ils roulent encore à cette heure.
La marche a duré plusieurs minutes. L'alcoolique est fatigué. Il a regardé, durant tout le trajet, le dos d'un de ses copains alcooliques, celui avec lequel il a commencé à boire il y a plusieurs années de cela. Il s'est demandé, durant chacune de ces minutes, s'il devait lui avouer ses fautes et tenter de les réparer. Il s'est demandé quelles étaient les chances que son copain alcoolique découvre les faits. Dans quelles mesures ils pourraient continuer à passer du bon temps ensemble s'il lui faisait part de ses regrets. Mais le train entre en gare à présent. Et les alcooliques s'installent bientôt dans un wagon sale et vide.

Une ballade à vélo. Un ami, à l'avant, emportés par la pente raide. La vitesse. L'ami qui prend de la distance. L'accélération. Le goudron sous les roues. Une pierre sur la route. Le vide. La chute.

Tous les muscles de l'alcoolique se contractent simultanément. Il prend peu à peu conscience de la situation. Ses copains alcooliques lui rappellent à quel point il peut paraître con. Il rigole avec eux, puis il regarde son copain, celui dont il vient de rêver. Il décide de soulager sa conscience. Il décide de tout lui avouer. Mais avant ça, il plonge la main dans son sac afin d'en extraire une bouteille. Il n'est pas encore prêt. Pas encore. Bien qu'il espère pouvoir d'ici peu regarder son copain dans les yeux sans être envahit par la honte, il redoute la réaction de celui-ci. Il a peur. Une voix métallique annonce le nom d'une ville dont personne dans le groupe n'a jamais entendu parlé.
-Les mecs, on a qu'à sortir là!
Dehors il fait froid. Après quelques minutes de marche hasardeuse, l'alcoolique tire discrétement sur la manche de l'ami auquel il a mentit. Ils ralentissent. Ils laissent le reste de groupe prendre de l'avance.
-Mec, faut qu'on discute. J'ai quelque chose à t'avouer.
Avant que l'alcoolique aie le temps de souffler pour évacuer son stress, son copain le regarde dans les yeux. Il a un sourire bienveillant. Il a une voix calme.
-T'inquiète mon gars, je suis au courant.
L'alcoolique ressent une brève sensation de chute, comme s'il avait raté une marche. Il s'arrête. Durant quelques secondes, il n'arrive pas à trouver les mots. Le silence qui persiste le rend profondément mal à l'aise.
-T'en fais pas, je t'en veux pas.
-Mais...
-J'ai eu l'air de te faire la gueule ces derniers jours?
Il sait. Il a toujours su. Et l'alcoolique en prend conscience peu à peu. Il est confus, l'esprit embrouillé par les effets de la bière. Il se sent de plus en plus mal à l'aise.
-Mais je t'ai menti encore aujourd'hui...
L'alcoolique est désemparé. 
-Écoute mon gars, ça fait plus de huit ans qu'on se bourre la gueule ensemble, que je te racconte mes conneries, que j'écoute tes merdes, qu'on vit des putains d'histoires qui n'ont pas le moindre sens, j'ai pas envie que tout s'arrête à cause d'une seule erreur. C'est pour ça que je ne t'ai pas dit avant que je savais. Mais je m'en fout, ok? Alors oublie ça, et file-moi plutôt une de ces bières dégueulasses!
Après quelques secondes de silence, l'alcoolique tend le bras, une nouvelle bouteille dans la main.

Bras dessus, bras dessous, ils s'en iront bientôt rejoindre le reste du groupe d'alcooliques, en chantant à tue-tête une chanson salace à travers une ville inconue dont ils ont déjà oublié le nom.

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