L'ange déchu - Prologue

cecileboiscourbeau

PROLOGUE

Extrait du Livre des Gardiens :

            Au commencement des temps, l’univers n’était que chaos. Pourtant, de cette masse informe et inerte naquirent les premiers dieux de l’humanité : Ablor et Caïloh. Ablor était grand et fluet, géant aux cheveux blond pâle. C’était la douceur incarnée. Caïloh, lui, était brun, petit et trapu ; et il se dégageait de lui une grande force. Entre les deux jeunes dieux, qui se considéraient comme frères, existait une franche et profonde amitié. Mais ils ne tardèrent pas à s’ennuyer, et pour combler cet ennui, ils se mirent à créer le monde à partir du chaos d’où ils avaient jadis émergé. Ablor créa les planètes, la terre, le jour et les plantes alors que Caïloh, de son côté faisait jaillir les comètes, les océans, la nuit et les animaux. Ils unirent également leurs forces pour créer, d’un commun accord, les humains et les esprits, joyaux de leur création. Ils s’assirent alors sur le ciel recouvrant le monde qu’ils avaient créé et en furent pleinement satisfaits. Ils profitèrent ainsi pendant bon nombre de siècles des distractions qu’ils s’étaient inventés. Cependant, ils virent un jour surgir du néant une jeune déesse d’une grande beauté. Elle se présenta à eux sous le nom d’Evilda. Enthousiasmés, Ablor et Caïloh lui montrèrent avec fierté ce qu’ils avaient conçu, l’invitant à se mêler à leurs jeux. Mais Evilda fut vite lasse de chasse, courses à pied et baignades dans l’océan. Elle ne trouvait pas d’attraits à cette vie restrictive qui pourtant convenait depuis des siècles aux deux frères. Elle décida de s’amuser à ses propres jeux et entreprit de séduire chacun des deux dieux, si bien que ces derniers tombèrent bientôt très amoureux d’elle. Ils connurent les affres de la jalousie, sentiment qu’ils ne connaissaient pas jusqu’alors, et se disputèrent farouchement les faveurs d’Evilda, engageant dans le combat toutes les forces dont ils disposaient. Ereintés et tiraillés entre leur amour pour la déesse et le lien qui les unissait toujours, ils la supplièrent alors de choisir l’un d’entre eux et de tuer l’autre une fois son choix accompli, pour lui éviter d’autres douleurs. Ainsi, dirent-ils, le monde pourra retrouver sa sérénité. Evilda fut bien embarrassée et pour toute réponse, repartit dans le néant pour réfléchir. Une éternité s’écoula encore et les deux frères, au comble du désespoir, reprirent durant cette longue période leur dispute, s’accusant l’un l’autre du départ de l’aimée. Un matin, Evilda reparut. Elle apportait avec elle un étrange objet. Ceci, leur déclara-t-elle, est le Miroir Eternel. C’est lui qui vous départagera. Je ne saurais choisir que le plus fort et le plus inventif. Ainsi, je vous propose un test : que chaque chose que vous avez engendrée passe à travers ce miroir, qui déterminera lequel a le plus contribué a sa création. Celui qui saura m’offrir le monde le plus riche aura alors ma main. Les deux frères acceptèrent cet étrange marché et ce qui fut alors désigné plus tard sous le nom du Tribunal des Dieux commença. Le jugement du miroir pour les créations propres à chacun des dieux fut aisé. En ressortant du miroir, les éléments entourés d’une aura blanche étaient ceux d’Ablor le Pacifique tandis que les créations de Caïloh, le dieu Impétueux, s’entouraient de noir. Cependant, quand arriva le tour des humains, la question fut plus délicate. En effet, chaque dieu avait pris une part égale dans sa conception, rendant ainsi le choix libre à la création elle-même. Mais les humains ne se montrèrent pas à la hauteur de leurs bienfaiteurs et, trop soucieux de leur propre existence, s’avérèrent incapables de choisir un dirigeant, quel qu’il soit. Ils s’installèrent dans le monde créé par Ablor et Caïloh et se désintéressèrent de l’enjeu. Restaient alors les esprits. Chaque esprit passa l’un après l’autre par-delà le miroir et se divisa en deux : une partie teintée de blanc, portant la marque d’Ablor, les anges ; et une partie noire qui s’apparentait à Caïloh, et que l’on nomma les ombres. Chaque morceau d’esprit blanc était semblable à sa moitié noire, mais de part leur nature, ils avaient choisi un camp différent. Si une des moitiés de l’esprit initial était trop faible pour survivre, elle dégénérait. Une dernière catégorie d’esprit se révéla également à la surface du miroir : ceux-là étaient un mélange indivisible de la volonté d’Ablor et de Caïloh et ils ne parvenaient pas à choisir distinctement un dieu. Cet amalgame parfait leur donna l’indépendance nécessaire pour former une classe à part, des érudits que l’on nomma les Eminences Grises. Un seul esprit demeurait sur la balance. Evilda fit un bilan des forces de ses prétendants : l’équilibre était presque parfait, mais Ablor avait l’avantage, son camp avait un esprit de plus que celui de Caïloh qui avait vu une de ses ombres mourir précédemment. Si ce dernier esprit se révélait être une Eminence Grise, ou une partie noire défaillante, ce serait Ablor qui remporterait le duel. Du choix de cet esprit dépendrait le choix d’Evilda elle-même. Du fait de la tension électrique communiquée par les trois puissances, ou peut-être tout simplement du hasard, ce qui arriva ensuite donna naissance à la Prophétie, qui nourriraient les esprits des générations durant. Quand le dernier esprit, tout hésitant passa la frontière du Miroir Eternel, quelque chose d’étrange se produisit. L’esprit se déchira en deux mais alors que les précédents jumeaux étaient d’un blanc pur ou d’un noir profond, la partie blanche de l’esprit emporta un morceau de partie noire tandis que l’ombre demeurait incomplète, mais vivante. Ablor et Caïloh furent consternés et un deuxième phénomène inexplicable se produisit : Ablor fit preuve d’une fureur insoupçonnée et bannit l’esprit taché de noir, puisqu’il n’était pas le fruit unique de son pouvoir. Caïloh, quant à lui, calculateur et infiniment désireux de battre son frère accepta malgré tout l’esprit amputé parmi les siens. L’équilibre des forces donnait alors toujours un avantage léger à Ablor, mais Evilda, voyant ainsi l’occasion d’échapper à une décision inexorable décréta que la partie serait suspendue aussi longtemps que l’esprit banni n’aurait pas choisi son camp de façon claire et définitive. Elle nomma chacun des derniers esprits jumeaux l’Ombre Déchirée et L’Ange Déchu. Ainsi se poursuivit le duel entre Ablor et Caïloh.

Une grotte. L’atmosphère est sombre, pesante. Seul l'écrasement de quelques gouttes de pluie sur le rocher comble le silence. L’heure du Choix approche. L’homme avance à petits pas, il n’a pas de lumière pour le guider. Il a froid, il a peur. Il voudrait reculer mais il ne peut pas. Des voix l’appellent et résonnent dans les profondeurs de la grotte : “Nous sommes des messagers, venus du fond des âges pour trouver l’homme qui fera le Choix. Rejoins-nous à Aggela, la ville oubliée et accomplis la Prophétie. Un jour, il a été dit qu’un homme pourrait décider du destin des Dieux. Nous sommes les messagers, les gardiens. Nous te guiderons pour que tu arrives jusqu’à nous.”

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