L’apprentie auteure doit-elle apprendre à présenter la météo ?
marionmdm
C’était un lundi. Un ce ces jours mous et chiants où je m’ébattais mollement au travail, quand j’ai reçu un mail m’annonçant que j’étais lauréate du concours de nouvelles Plumes d’Api, organisé par les Editions du Feu de Paille. J’allais en cela être publiée dans un recueil de nouvelles. J’étais en joie, et mon lundi mou venait de se transformer en lundi extatique.
J’ai très vite reçu un mail d’un certain Marc, relecteur au service de la maison d’édition pour qu’on retravaille mon texte ensemble. J’ai été submergée par l’angoisse de me confronter à ses corrections : quoi ? lire ce qu’on a pensé de mon texte ? voir où cela pêche ? vous n’y pensez pas ! Mais Marc a été conciliant et patient et je me suis prise d’affection pour cet ange gardien de l’édition. Je crois que lui m’a prise en sympathie au moment où il m’a annoncé que j’allais devoir parler en public lors de la remise des prix: « Il va falloir que je parle devant plein de gens ? Tu as lu ma nouvelle ? Elle est autobiographique, elle parle de quelqu’un doté d’une timidité maladive, de moi, je vais jamais y arriver ! »
Il m’a alors expliqué que c’était cool, que ça allait bien se passer, que c’était pas non plus une soutenance de thèse et que j’allais pas devoir faire un show, juste lire mon bout de texte et répondre à quelques questions. J’aimais bien Marc le relecteur, tout était toujours très cool avec lui.
La remise des prix était un vendredi, Marc le Relecteur m’avait demandé d’y être à 17h : « On demande aux auteurs d’arriver tôt pour les briefer et faire connaissance, pour que ça se passe bien, tu vois. ». Je voyais, donc j’étais arrivée, en nage avec cinq minutes de retard, écarlate de confusion. C’est un technicien qui m’a ouvert la porte : « Mais vous êtes qui vous ? Un des auteurs ? Ah mais le jury est pas encore arrivé, mettez-vous dans un coin, on a besoin de la salle pour nos installations ».
Bête et disciplinée, j’ai attendu dans un coin. Une heure plus tard, Marc le Relecteur arrivait avec un des membres de jury, un des cadors des Editions du Feu de paille :
« T’es déjà là ? Non mais on donne juste un horaire théorique , les autres vont arriver dix minutes avant le début de la soirée, ils sont habitués à ce genre de trucs ».
Le Cador de la maison d’édition s’est ensuite tourné vers moi : « Ah mais c’est vous la jeune auteure ? », puis détaillant ma tenue : « Ah très bien la petite jupe, vous allez faire sensation ! Ces jeunes, elles savent attirer le lecteur ! »
J’en suis restée muette de circonspection.
J’ai encore attendu trois bonnes heures le début de la cérémonie. Le déroulé était très simple, Marc le Relecteur était le maître de cérémonie, il appelait chaque auteur un à un. L’auteur montait sur l’estrade, disait bonjour, lisait un bout de sa nouvelle, et ensuite ils faisaient un petit show avec Marc, à base de déconnade, de questions-réponses et de grande complicité de mecs qui ont roulé leur bosse.
Mon tour est arrivé, je suis monté sur l’estrade, j’ai tiré sur ma jupe, pris une grande inspiration pour calmer mes angoisses de parler en public et j’ai commencé.
« Bonjour, je vais comme convenu vous lire un bout de ma nouvelle… »
J’ai été interrompue par un « Plus fort ! » qui venait de quelque part dans le public. J’ai repris, un peu plus fort, mais j’ai encore été interrompue par un « On entend rien ! ». C’est donc à ce moment que mon esprit – très farceur quand je suis en difficulté - a le plus naturellement du monde décidé de me souffler un « Attention, ça rend sourd » prononcé cette fois à très haute et intelligible voix.
Les voies se sont tues, Marc le Relecteur m’a jeté un air consterné, alors comme on est jamais aussi bien servi que par soi-même, j’ai ricané à ma propre blague. J’ai ensuite repris ma lecture, du même ton saccadé et bas avec lequel je parle habituellement. Si je savais parler en public, je serais animatrice météo, pas aspirante auteure.
Ensuite c’était au tour de Marc de m’interroger. Au lieu de cela, il a estimé qu’il était mieux de parler de ma nouvelle sans me demander mon avis, et s’est lancé dans un long monologue vantant les mérites de mon récit pendant que je me tortillais les mains à côté attendant vainement qu’il me fasse participer comme il l’avait fait avec les autres.
Le lendemain matin, après que l’on eût copieusement arrosé cette formidable cérémonie avec les autre lauréats lors du cocktail. J’ai reçu un coup de fil de Marc le Relecteur :
« Ouais, je voulais te dire, désolé pour hier si je t’ai pas laissé parler, mais tu étais catastrophique, on t’entendait pas, et il faut bien qu’on te vende tu vois…
- Ouais, mais tu m’avais dis avant que c’était pas grave si j’étais pas à l’aise, que personne l’était, que ça allait être cool comme truc, pas prise de tête, hors des sentiers battus habituels…
- Non mais tu vois, il faut que tu apprennes à te vendre, à être plus à l’aise en public, car tu écris bien, on aime bien tes histoires et ton univers, ça le fait bien tes petites jupes, mais tu dois apprendre à être plus présente, plus bankable »
De fil en aiguille il m’a proposé d’être mon coach en média training :
« Mais enfin Marc, je suis auteure, je te l’ai dit que je savais pas parler en public, pas me vendre ni rien. Tu croyais que j’étais quoi, speakerine sur la TNT?
- Je connais ce refrain, t’es pas la première à me le dire, tu vas me dire que ce qui importe c’est ton texte, ce que les gens ressentent à la lecture, mais on est un business, si tu veux être lue, il faut apprendre à être vue et entendue c’est tout. Tous ceux qui pensent comme toi ont jamais percé. »
J’étais au bord des larmes. Entendant mon état de détresse, il s’est radouci :
« Par contre, très bien la soirée après, tu as failli rouler une pelle au président du jury pour le remercier de t’avoir sélectionnée tellement tu étais pétée.
- Ah. »
Puis il a continué en rigolant : « je te demande pas de coucher, mais c’est bien, on boit un peu dans les cocktails littéraires, il faut savoir y donner de sa personne. »
Et merci pour ce commentaire qui fait chaud au coeur :)
· Il y a presque 13 ans ·marionmdm
Ah oui ! J'aime beaucoup. Pourquoi les bons textes paraissent aussi simples, fluides, aérés, rythmés ? Ce doit être cela le talent (avec beaucoup de travail). Bravo et merci pour ce formidable moment de lecture.
· Il y a presque 13 ans ·patrick-montoulieu