A 84 ans, il plaque tout pour retrouver son amour de jeunesse.

Edgar Fabar

Pour la première fois de sa vie, Laventure quitte sa Martinique natale pour se rendre au Maroc retrouver son amour de jeunesse.

Au moment où Laventure pénètre dans le hall A de l'aéroport Aimé Césaire, il pense à ses 84 étés passés sur son île. Pour la première fois, il va la quitter cette île. Il va parcourir les 6864 kilomètres qui le séparent de Marrakech et de Françoise. Françoise c'est son amour de jeunesse – et pour ainsi dire son amour de vieillesse – celle à laquelle il pense encore, 60 ans après qu'elle a quitté la Martinique. Il est 20h34, nous sommes en 2014 et il est encore temps de la retrouver. Depuis qu'il est tombé par hasard sur sa photo et surtout son adresse dans un magazine chez le docteur, il est persuadé que le destin veut qu'ils se retrouvent encore une fois… Ah Françoise.

Dans le hall, l'activité est quasi-frénétique. Des valises roulent dans tous les sens, tirées par des gens pressés, eux-mêmes tirés par des enfants qui veulent absolument aller manger un happy meal  chez Mc Donald's. Pendant ce temps-là, Laventure essaie de se frayer un chemin jusqu'aux écrans d'affichage. Il se met à trembler, vite, il saisit et ouvre sa petite boîte en métal et prend ses médicaments anti-Alzheimer, ses pilules toc toc comme il aime à dire . Une gorgée d'eau et hop ça passe tout seul. Et pendant de longues minutes, il reste là planté au milieu de la caravane à écouter le monde « vacarmer ».

Avant d'accéder à la salle d'embarquement, il arrive au contrôle de sûreté. Il est 21h13. Devant lui, un jeune homme fait un scandale parce qu'on l'empêche de voyager avec son gel pour les cheveux. Laventure repense à sa crinière devenue clairière, et se demande si Françoise le reconnaitra sans les boucles qu'il arborait fièrement en cette année 1955. C'est son tour de passer maintenant. Il vide ses poches : quelques pièces, un couteau aussitôt confisqué et ses pilules anti-démence. Il passe les portiques avec son magazine à la main.

Il est bientôt onze heures. Les hôtesses s'affairent, et proposent des boissons chaudes à tous les passagers. Elles leurs suggèrent de baisser leur tablette pour faciliter le service, lentement, elles progressent vers le fond de l'appareil. Laventure est installé tout près des toilettes. Les lumières s'éteignent progressivement. Le va et vient des passagers l'empêche de s'endormir tout à fait. Soudain, la petite bouteille de Merlot qu'il tenait dans ses mains de vieillard, tombe par terre, roule et finit sa course au milieu de l'allée principale. Il dort maintenant.

7h39. L'avion s'est posé il y a une heure. Laventure essaie de trouver le sens de la queue pour prendre un taxi. Impossible d'identifier où commence et où s'arrête le bazar ambiant. De tous les côtés, ça klaxonne. Trois chauffeurs sont en train de discuter bruyamment ou peut-être de se disputer. Il fait un soleil magnifique. Il fait chaud, les palmiers brillent. Laventure s'engouffre dans un taxi ouvert près de lui, d'où lui parviennent les accords d'une mélodie orientale. Le chauffeur lui demande où il va. Il sort son magazine. Il le feuillette rapidement et finit par trouver ce qu'il cherche à la page 45. Il lui montre une publicité pour la marque Comptoir des Cotonniers où deux femmes se tiennent par la main. Il y a marqué Sophie et sa mère Françoise, photographiées au Jardin Majorelle à Marrakech.

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