Le bal du gymnase
Elsa Saint Hilaire
Le bal du gymnase
Ils avaient beau avoir scotché au plafond du gymnase des ballons de baudruche, couvert les murs de guirlandes en crépon, piqué au réfectoire de grandes tables rectangulaires maintenant recouvertes de nappes en papier soi-disant lessivable, de verres en plastique, de maxibouteilles de soda, de pâtisseries industrielles, le gymnase restait ce qu’il était : un endroit sans âme, une caisse à résonnances, un lieu chargé d’odeurs de sueur et de semelles de caoutchouc.
Pourtant elles étaient venues, nombreuses. Elles s’étaient maquillées, avaient enfilé leurs vêtements qui, selon elles, les mettaient en valeur. Certaines avaient même fouiné dans l’armoire de leur mère pour dénicher le top ou la jupe qui les rendraient, la plus belle, la plus désirable. Parfois elles se tenaient par la main, deux par deux, pour se donner du courage, pour affronter leurs regards. Elles ricanaient entre elles, l’œil brillant avec ce nœud à l’estomac qui les faisait frémir de bonheur.
Eux aussi étaient venus nombreux et eux aussi faisaient bloc. Les mains dans les poches du jean pour les plus timides, le sourire conquérant, les mèches raidies de gel, pour les plus intrépides. Ils s’envoyaient des vannes dans une surenchère de « C’est moi le mec le plus drôle » et certains s’aventuraient à reluquer, l’œil à l'oblique, les filles avec le petit air de supériorité d’un machisme naissant. Une mise aux enchères sur le physique, pas toujours bon enfant.
Ils avaient en commun, ces garçons et ces filles, le front et les pommettes luisants, des voix trop hautes ou trop graves, quelques traces d’acné sur le visage. Ils avaient pour différence, des palpitations de cœur ou des érections douloureuses. Ils étaient, les uns et les autres, prêts à mêler leurs points communs et leurs différences.
La musique, ils s’en foutaient, sauf ceux qui, avant même d’avoir franchi la porte, étaient persuadés de se prendre une veste. Pour eux, elle était naze. « Pas possible de draguer sur une zic aussi naze », répétaient-ils, en enfonçant la tête dans les épaules avant d’ajouter « En plus, y a que des thons », tout en lorgant sur une grande brune qui « fait plus que son âge ».
Les beaux mecs, elles les descendaient en flèche. « Qu’est-ce qu’il est prétentieux, non mais… pour qui, il se prend ? » glissaient-elles à la frangine, tout en craquant sur l’allure du gars en question, sur ses gestes affectés et son look génial.
Et elle ? Elle rasait les murs du gymnase, de profil... enfin de son bon profil intact… Elle n’avait pas voulu venir, mais sa mère avait tant insisté. Elle avait supplié. En vain. Quand elle les avait entendu glousser « Mate un peu, v’là Alien ! », elle avait senti le couteau familier lui perforer les entrailles et les larmes avaient déboulé dans l’œil gauche, le seul à exprimer encore quelque chose.
oh la vache! un texte super bon! bravo!!!
· Il y a environ 11 ans ·je parle de la forme, évidemment, car l'histoire est très triste.
je trouve que tu as réussi l'exercice haut la main!
Karine Géhin
Merci Mysteria... heureuse de te retrouver sur ces pages! bises ma belle.
· Il y a environ 11 ans ·Elsa Saint Hilaire
La cruauté des humains aurait-elle de limites ? Ils finissent par descendre même les esprits les plus géniaux et trouveront toujours la faille !
· Il y a environ 11 ans ·Le "personnage" de la fille est très intéressant (je sens un certain attachement pour ce genre de personnages en général, surtout quand ils sont combattifs) : réussira-t-elle à faire fi des regards ? Ou consentira-t-elle à rester l'alien des bals pour finir isolée ?...
ahqepha
c'est une blessure que l'on peut trainer toute sa vie... Merci à toi pour ta lecture et ton commentaire. ♥
· Il y a environ 11 ans ·Elsa Saint Hilaire
Le monde des ados sans pitié!!!
· Il y a environ 11 ans ·Colette Bonnet Seigue
Oui... sans aucune pitié.
· Il y a environ 11 ans ·Elsa Saint Hilaire