Le bonheur est dans le prêt
sacha-almeida
Elle était là. Enfin. Il ne se lassait pas de la regarder. Elle était vraiment jolie. Elle semblait concentrer tout ce qu’il aimait chez une femme. Elle était fraiche, dynamique, souriante. C’est ce sourire qui l’avait immédiatement attiré. Pas un sourire de compassion, ceux-là il les détestait. Et il détestait plus encore ceux qui les portent et les affichent publiquement. Ce genre de sourire compatissant à la fois avec la beauté et la tristesse du monde, ce genre de sourire qui se dessinent sur le visage de ceux qui pensent avoir tout compris, ce genre de sourire qui caractérise les prêtres et les convaincus en tout genre. Non, le sourire de Gabrielle n ‘était pas de ceux-là. Il était la forme la plus pure de l’expression de la joie de vivre. La vraie, pas celle qu’on a tellement vomie à la moindre expression de bonheur sur un visage humain qu’elle n’a plus de sens. Pas celle non plus d’une conasse en robe de cocktail, enguirlandée miss France, grande et molle, dégoulinante d’Endémol et qui déclare « Ce qui me caractérise le mieux c’est ma joie de vivre ». Non, celle de sa Gabrielle n’avait rien de préfabriquée, ni de surfaite. Comme Gabrielle.
Boucles blondes aléatoires, pupilles marron, un peu jaune aussi, un nez agréablement trop rond, une bouche délicatement trop fine. Elle était le chef-d’œuvre de l’imperfection. Une Mona Lisa de bac de déstockage. Le résultat d’un lendemain de cuite de Michel-Ange. Elle avait plus sa place dans un casting pour un spot de lessive que dans un défilé de Victoria’ s Secret. Et elle lui plaisait pour tout ça.
Le mois de mai était chaud. Chaud de cette chaleur typiquement parisienne agréablement étouffante. Comme une asphyxie autoérotique. C’était un jour idéal pour rencontrer la femme de sa vie. Marc prit sa tasse de café et la porta à ses lèvres plusieurs fois sans en boire, sans même la toucher de ses lèvres. Il devinait le café être brulant. Sa main droite frémissait. Il n’y tenait plus. En face de lui se trouvait son futur. Le future qu’il s’était choisi, elle. Il avait longtemps cherché, puis arrêté, puis recommencé, différemment. Puis Gabrielle s’était matérialisée devant ses yeux. Et aujourd’hui, il touchait au but. Le but d’une vie, ce but que le monde lui avait programmé. L’amour.
Marc connaissait tout de Gabrielle. Des choses les plus importantes aux choses les plus insignifiantes. Du nombre d’enfants qu’elle voulait au nombre de sucres qu’elle mettait dans son café, de l’importance qu’elle accordait à la fidélité à l’amour qu’elle portait à l’architecture estonienne, de son rythme sexuel à son rêve secret de devenir peintre. Il savait tout, et tout lui plaisait, jusqu’au fait qu’elle aime Love Actually. Il était prêt à tout pour elle puisque de toute façon il détestait sa vie. Il avait entendu un jour, de la bouche d’un médecin, que la chose la plus dure qui soit pour un trisomique était de prendre conscience de ce qu’il était. Il se sentait assez proche de ce trisomique qui réalisait un jour que le monde le trouve répugnant, inférieur et insignifiant. Marc avait pris conscience qu’il était une merde, et que le monde en était clairement conscient. Un boulot de merde qui ne lui servait que de bonne excuse pour ne pas se foutre en l’air, une vie sexuelle allant au rythme des nouvelles vidéos postées sur pornhub et une stimulation intellectuelle proche de celle d’un gardien de prison soudanais. Son compte en banque, lui, était la victime permanente de la transformation de son besoin d’exister en consommation compulsive de stéréotypes Roche-Bobois. Son banquier, courageux devant l’éternel, lui avait fait parvenir une lettre standardisée à l’extrême pour lui faire savoir qu’il était interdit bancaire. La seule chose qui montrait que cette lettre n’était pas destinée à son voisin était son nom, mentionné une seule fois grâce à une astucieuse fenêtre plastifiée découpée dans l’enveloppe. Le montant de son solde débiteur était lui mentionné à trois reprises. Il n’avait même plus d’argent. Mais Gabrielle se foutait de l’argent. Il le savait. Elle l’avait dit.
Il se laissa aller en arrière et prit une profonde respiration d’apnéiste. Lentement, il se redressa. Encore plus lentement, il approcha sa main et la posa délicatement. Il sentit dans sa paume la forme ronde et coutumière. Son doigt exerça une légère pression avec une douceur non feinte.
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chute excellente
· Il y a plus de 12 ans ·Louise Moia
Bonne nouvelle ! Le ton est juste tout le long de la découverte de ce personnage,jusqu'à la chute qui arrive comme une friandise littéraire qu'un serveur inattendu vous présenterait sur un plateau, bien qu'à titre personnel,je me serais bien passé du nappage avec du chocolat chaud - les caractères gras. Juste un petit truc encore : Je suggère de supprimer "être" dans "Il devinait le café être brûlant."
· Il y a plus de 12 ans ·eric
Comme Reve, j'avais pensé à une poupée... plus dure encore est la chute !
· Il y a plus de 12 ans ·Très bien mené, et malheureusement aussi très réaliste. Mais bravo...
junon
J'avais hésité avec une real doll... bon texte
· Il y a plus de 12 ans ·reverrance
C'est ce que je dis la vie des mulots est très dure.
· Il y a plus de 12 ans ·eaven