Le cadeau

aile68

Les chaussettes Bleuforêt existent vraiment... Enfin bon, une balade en forêt c'est mieux.

Commencer un texte sans savoir où on va c'est comme se balader dans une ville qu'on ne connaît pas. Au début on ne sait où aller, on tâtonne, aller à droite, à gauche, tout droit, non tout droit, je vais me prendre le réverbère, allez je vais à droite. La rue débute avec des boutiques et des gens qui font du lèche-vitrine, je passe en jetant un coup d'oeil sur les vêtements élégamment exposés avec une jolie déco d'automne à laquelle je ne suis pas insensible. Des bogues, des marrons gros et ronds comme les yeux du monsieur à côté de moi, attiré par des chaussures à franges marron aux reflets dorés, des champignons en feutrine, de gros cèpes en fait et des feuilles mortes en textile fin et précieux. Je reste en admiration devant cette vitrine en fête, et mue par je ne sais quelle magie, je pousse la lourde porte du magasin tout en sachant que je ne repartirai pas sans rien dans les mains, même une bricole que je paierai les yeux de la tête, je m'en fiche. Je ne suis pas fière de moi mais tant pis. Aussitôt entrée une jolie jeune fille se place devant moi avec sa voix souriante plein de miel, qui va parfaitement avec les tons mordorés de la vitrine.

"Bonjour, vous désirez?"

Cette phrase qui d'habitude me hérisse au plus haut point m'envoûte et je réponds au hasard:

-Bonjour, c'est pour un cadeau.

De toute évidence je ne serais jamais entrée dans ce magasin de luxe pour moi, et puis ça me donne bonne conscience de dire que c'est pour un cadeau. Pour qui encore, je ne sais pas.

- Oui quel genre de cadeau? Et là je vois les yeux de la vendeuse briller comme son tiroir caisse. Elle doit se dire: "Celle-là je vais la plumer", ce qui est moche comme tout, du coup je la vois en moins jolie, je voudrais me raviser mais je ne sais quoi dire:

- Oh j'hésite encore, je peux voir vos foulards pour femmes?

- Bien sûr! Et elle se dirige comme une hyène sur  un pan de mur où sont accrochés une multitude de foulards.

- Vous avez des foulards à rayures horizontales qui affinent le visage et allongent la silhouette, à pois pour les jours moroses, ou unis blancs ou en couleurs. C'est pour qui exactement, me demande-t-elle un peu agacée devant mon silence. Je suis surtout impressionnée par la petite étiquette des articles que cette femme me montrent. Décidément je la trouve de moins en moins jolie, et j'ai peur pour ma bourse. "Celle-là elle m'aura pas" je me dis.


- Euh... Je ne sais pas encore...

Là, son visage s'allonge de trois mètres de long, et elle bougonne un tant soi peu:

- C'est-à-dire?

- Euh je ne sais pas quel foulard prendre. Je vais réfléchir je lui dis pour me débarrasser de la vendeuse pendant un temps assez long j'espère, en espérant qu'elle m'oubliera mais sans trop y croire.

Je commence à regarder les bouts d'étoffe extrêmement chers pour ce que c'est, pendant ce temps la vendeuse s'est dirigée vers une autre proie qui vient d'entrer. Je l'entends dire la fameuse phrase sésame qui commence tout dialogue:

"Bonjour vous désirez?"

Moi pendant ce temps je regarde un éventuel cadeau à pois "pour les jours moroses" comme a dit la hyène. Le prix? Je dois faire des yeux plus gros que les marrons dans la vitrine. Impossible!! Je me dis. Je me retourne, regarde autour de moi, ma vendeuse de hyène qui est occupée avec une autre femme qui a l'air plus friquée, me regarde du coin de l'oeil en faisant la gueule. Elle a l'air d'un caméléon, à la fois elle fait des sourires à la nouvelle cliente, à la fois elle me tire une tronche à faire peur. Je dois faire pareil avec elle et j'ose dire:

"Vous avez un verre d'eau? Je ne me sens pas très bien."

Contre toute attente elle me répond aimablement (comme quoi):

-Oh je suis désolée, je ne peux rien faire pour vous. Vous avez un bar deux magasins plus haut.

Là elle m'offre une occasion en or pour sortir mais la cliente friquée me dit sur un ton haut perché:

- Tenez je viens d'acheter une petite bouteille d'eau justement. Prenez la si vous voulez.

Etonnant de sa part je me dis, je dois avoir un air un peu dégoûté car elle dit, vexée:

- C'est propre, ne vous inquiétez pas!

- Non, non c'est pas ça! Euh... Au revoir tout le monde. A ce moment mes yeux tombent sur la vitrine et son beau décor d'automne:

- La forêt s'il vous plaît?

- Vous voulez des chaussettes Bleuforêt? s'étonne la vendeuse au visage complètement décomposé:

- Euh oui... Des premiers prix.

Elle me dirige vers un petit coin chaussettes, décidément elle a de tout!

- Voilà, vous avez des chaussettes à rayures horizontales qui allongent la jambe, des chaussettes à pois pour les jours moroses et des unis blanches et à couleurs.

Je regarde l'étiquette fatidique, d'une paire de chaussettes à pois, 12 euros, ça va je vais pas me ruiner.

- Je vais prendre cette paire-là s'il vous plaît! je dis fièrement avec un sourire satisfait. Elle par contre tirait une de ces têtes que je n'ai même pas osé lui demander de me faire un emballage cadeau. M'en fiche, c'est pour moi finalement! Je savais que je sortirais avec quelque chose dans les mains. Je sens les regards de la vendeuse et de la cliente potentielle peser sur moi et la femme qui dit:

Euh... C'est pour un cadeau!


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