Le carnet de moleskine

Julien Vigneron

Dans le bureau d'un appartement parisien, il attendait Emilie, pour partir fêter leur dixième anniversaire de mariage. Marc faisait les cent pas devant son bureau et donna un coup de pied au tiroir du bas resté entrouvert. Mais, impossible de le rentrer complètement. Il trouva alors un tournevis et le démonta. Avec stupéfaction, il retrouva coincé derrière le tiroir, un petit carnet en moleskine, disparu depuis 10 ans. C'était un cadeau de ses parents qui lui avaient offert un été avant son entrée au lycée. Sa mère une professeure de Pilate, lui avait transmis le goût pour le corps, sa beauté, son image et lui avait dit « tu auras toujours quelque chose à noter ».

Ce carnet était devenu le recueil de tous les détails sur les seins, petits lolos et autres nichons que Marc allait rencontrer dans sa vie en commençant par ceux qu'il pouvait observer aux cours de sa mère qui enseignait à domicile. Il avait pour les seins une curiosité quasi scientifique, une volonté de voir, de toucher, de comparer tous ceux qu'il pouvait avoir. Les formes, les tétons, les différences, les couleurs, étaient notés dans son carnet, avec des dessins et des descriptions ethnologiques. Il eut de nombreuses conquêtes qui remplirent le carnet. La rigueur scientifique héritée de son père le poussa à établir une nomenclature de toutes les formes existantes, sphérique et son équivalent poétique pomme, ovoïde - poire, volcanique sans équivalent, et d'autres occurrences encore.

Marc replongea quelques instants dans les arcanes de ses découvertes de jeune homme. Cette quête avait occupé son esprit des années durant, cherchant à savoir ce qui l'attirait en cataloguant tous ces seins. Marc était devenu cancérologue après ses études de médecine et plusieurs années d'exercice. Quelques jours après son mariage, vers ses 40 ans, avec une élève de sa mère rencontrée par hasard, il enfouit le carnet au milieu de ses affaires, oubliant peu à peu ses recherches au profit de celles qui avaient cours dans son métier.

En retrouvant ce carnet, il se posa des questions sur ce qu'il était devenu, « Ai-je perdu cette curiosité qui m'animait ? » Après 10 ans de vie commune, après toutes ces années d'exercice de la médecine, toutes ces observations de courbes, d'analyses, n'avaient pas répondu à ses questions. Tournant le petit carnet entre ses mains, il comprit que la question ne tenait pas dans la collection obtenue mais dans la recherche elle-même, dans la quête qui l'avait animé et trouvé ses prolongements dans son métier actuel. Le carnet avait été son catalyseur, de petits seins à un grand dessein. Dans un élan de curiosité, il chercha vers la fin du carnet une page sur Emilie, mais ne trouva rien. Il se senti rassuré, satisfait. Emilie arrivait dans le couloir, il entendit ses pas. Il se leva d'un bond, comme un adolescent pris sur le vif. Elle entra dans une robe époustouflante. Elle surprit son sourire descendant vers son décolleté plongeant et lui dit « J'attise donc encore ta curiosité ? »

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