Le Centaure
valfables
Le Centaure et la Licorne
Les brumes de l’aurore étaient encore épaisses au lever de ce jour naissant.
Leurs voiles filandreuses s’étiraient telle une toile d’araignée entre les silhouettes que l’on devinait être des troncs d’arbres. À leurs racines, l’humus de la forêt répandait ses fragrances aux odeurs fortes laissées par le passage des animaux nocturnes parfumant les airs chargés de l’humidité de la rosée.
Quelque chose craqua dans le sous-bois encore indistinct.
Là-bas un bruit de succion dans le sol meuble trahi soudain le pas lourd d’un être y enfonçant ses sabots. Cela tapa alors soudainement et furieusement la terre !
Des branches craquèrent de nouveau et cette fois un martèlement puissant et massif frappa d’ondes telluriques l’orée du bois, effrayant quelques oiseaux diurnes à peine réveillés. Il y eut comme un raclement de gorge, profond et bestial. Taillis et buissons s’agitèrent et dodelinèrent au passage de l’être.
Cela arrivait.
Au début on ne distingua qu’un corps imposant aux teintes brunâtres. Malicieusement le brouillard n’en laissa entrevoir qu’une partie. Un cerf ? Un bœuf sauvage peut-être… à moins que ce ne fut là un cheval bien qu’il n’aimait pas particulièrement les forêts, trop dense.
Cela sentait fort, un musc viril, une odeur de mâle gorgé d’ardeur et de fougue.
Sa longue queue, drue et au crin dur, fouetta sa peau parsemée de veines et tout autant de tics nerveux la secouant sans cesse. De larges sabots terminant des pattes courtes mais surpuissantes raclèrent le sol le pourfendant de larges sillons comme le fer balafre les chairs. L’animal vociféra de nouveau, un large faisceau de brume s’exhalant de ce que l’on pouvait s’attendre comme un formidable museau, peut-être un groin…
Alors il apparut ! Chimère bestiale, hybride monstrueux ou incestueuse créature, l’être dépassa par l’imagination le présage annoncé par sa venue.
Au lieu d’une encolure c’est un buste, épais, hirsute, couvert de poils et de muscles saillants, d’un homme qui se dressa aux vents l’ayant délivré de sa gangue éthérée ! Un homme oui, mais un homme déchiré par la colère creusant son visage de traits brutaux et violents. Les poings serrés jusqu’aux sangs, les deux bras s’ajoutant aux deux autres paires de pattes n’étaient pas moins impressionnants, les avant-bras étant aussi larges que les biceps menant aux épaules !
Le poil du torse était noire, ténébreux même et frisé de boucles collées et souillées par la bave dégouttant de sa bouche exhalant de nouveau sa rage. Les cheveux de l’être n’en étaient pas moins sales et hirsutes, tout autant en bataille. Epaisse cette chevelure était plutôt celle d’un fauve. D’ailleurs l’homme au corps barbare en avait presque l’apparence, tout du moins l’allure si ce n’était son regard…
… un animal n’avait pas ce genre de regard.
Les yeux rougis, vifs et sanguins, ils étaient là ce qui faisait de la chose un humain.
Mais c’était là toute la part sombre de l’humanité qui bouillonnait dans son sang ! Une rage bestiale grondait comme un ressac permanent dans ses entrailles, le long de ses flancs toujours haletants et pour finir jusqu’à sa gorge prête à beugler la haine de sa condition ou de sa malédiction. Ni vraiment un homme, ni vraiment un animal, comment cette créature pouvait-elle trouver la paix ?
Soudain il s’ébroua presque et sa colonne ou son encolure portèrent son buste de droite à gauche, ses narines se dilatant comme à la recherche d’odeurs capables d’assouvir sa voracité ou sa soif. Il fit deux ou trois pas en arrière comme pour prendre de l’élan. Toutefois il en profita pour appuyer son corps équin sur l’écorce d’un arbre s’y grattant sans ménagement. Un jet d’urine violent et saisissant à l’odeur arrosa la terre au-dessous sans qu’on sache s’il s’y soulagea ou s’il y marqua là trace d’un nouveau royaume conquis.
Un cri guttural s’arracha alors violemment de son cou tordu par les muscles et les artères battantes s’y gonflant comme des scarifications encore fraîches !
Frappant son buste de ses terribles poings, ce seigneur mi-homme, mi-animal, se cabra avec une vigueur étonnante pour son poids. Puis d’un bond incroyable il s’arracha presque dans les airs, chevauchant la lande et faisant trembler la terre du roulement infernal de ses sabots tranchants et percutants ! Oui cette chose était une bête grotesque sans aucun doute mais la fureur de la vie l’animant était bien humaine… celle d’être libre !
*
Mais la liberté, pour notre animal mythique, ne s’accompagnait pas de celle des autres…
… Et encore moins quand il sentit avant même d’en entendre l’hennissement, l’odeur trop enveloppée de légende, pour lui, de l’être la portant.
Il l’avait déjà aperçu, une fois, de loin. Et sans encore le voir, il put le décrire tant sa bestialité lui enviait l’équine merveille de sa nature.
Ses naseaux délicats, soyeux et fragiles, sentirent également la bête bien avant son arrivée.
Elle était tant imprégnée d’une haine virile que le vent même la portait avec violence. Elle aurait pu fuir, elle était bien plus rapide mais la lumière ne peut jamais se détacher de l’ombre.
Elle renâcla un instant, son souffle brisant la placidité de la mare au bord de laquelle elle s’était approchée pour épancher sa soif. Les rides déformées de la surface des eaux n’en ôtèrent point pour autant sa majesté.
D’une robe spectrale, son corps gracile était immaculé d’une blancheur douce et lumineuse. Le crin était lisse, moelleux et sa queue était un panache céleste où le moindre éclat du soleil s’irisait de reflets mirifiques. Des poils bouclés semblables à ceux des chèvres recouvraient ses sabots fins bien que robustes sans que ceux là sur le sol mousseux n’en laissent la moindre trace à son passage ! Enfin ses paupières jusqu’à là closent, s’entrouvrirent.
Alors quelle magnificence ! Les iris se confondaient avec le fond des pupilles d’un ton lapis-lazuli, profond, merveilleux… et féerique !
Leur intelligence n’était pas celle d’un animal, pas même d’un cheval ou d’un humain, non, celle-ci était d’essence divine, à la fois sage d’une éternité mais bienveillante comme toute jeunesse…
… Mais autre chose distinguait cette créature d’un cheval.
Sa corne !
Oh oui, quelle extraordinaire et chimérique excroissance ! Torsadée dans l’ivoire la constituant, si elle était fine, elle n’en était pas moins puissante, semblant même indestructible. Terrible et fascinante à la fois, elle brillait d’irréalité.
Des dieux peut-être, des seigneurs et rois assurément auraient sacrifié leurs armées pour la conquérir et sans doute tout leur royaume simplement pour la toucher. Mais si les Fées s’amusaient à la chevaucher, il est même peu probable que de vierges filles ne l’aient un jour ne serait-ce que caresser !
Ainsi des bestiaires, elle en était l’enluminure la plus enchantée.
Elle était la beauté mais la laideur approchait ! Et la laideur toujours entache la beauté…
Mais, encore une fois, la fuite était encore envisageable.
Sauf peut-être quand une jument porte sa progéniture et qu’un Unicorne ne porte bas qu’une fois par ère…
Les feuilles des sous-bois craquèrent soudainement.
L’inévitable advenait…
**
Les âges s’étaient écoulés depuis ceux de cette confrontation légendaire.
Qu’en demeura t-il ?
Le dernier des Centaures avait-il été pourfendu de cette corne sacrée, elle-même arrachée à l’animal fabuleux la soutenant ? Nul ne le sait. Il ne nous en reste que les contes pour s’en émerveiller ou l’imaginer.
Les Chevaux depuis se racontent-ils de Juments en Pouliches ou d’Etalons en Poulains cette histoire ? Est-ce là la genèse de leur création…
Se confond-elle, elle-même, dans l’Histoire cette fois de l’Homme ?
L’Homme-Cheval qui à force de conquête en a chevauché la liberté… Mais qui sans l’équestre bête n’aurait pas conquis la sienne !
Oui peut-être Sleipnir, Eclair, Pas-de-foudre, quel que soit son nom, oui, peut-être le Cheval cavalant dans mon imaginaire, et désormais dans ce récit en décrivant désormais l’existence au fil de mes mots, pensait à ce moment précis de cette manière à son origine. Ne savez-vous donc point que la raison est un Cheval fou qui s’emballe à la passion du cœur ? Puisque l’un ne parle, on ne veut lui donner sens… Le Muet n’aurait-il donc point son propre langage ? Ou est-ce nous qui ne le comprenons pas, à notre tour aphasique quand à percevoir sa propre articulation…
Ce qui naît, quel que soit sa forme, ne prend ainsi corps que par la manière dont on le déforme nous-même pour le saisir.
Alors ne dénions pas à notre Cheval apparu, sa propre raison d’être et son histoire. La voici :
Sa cavalière, montée à cru, n’était pas l’un de ces maîtres de la Steppe, dur et fort, ayant mâté les siens. Non, lui seul, comme une infante seule peut approcher une Licorne, l’avait invitée à s’asseoir sur son échine.
Il ne souffrait pas de ce poids aussi doux qu’une plume.
La petite fille, quelle que fut la raison l’ayant égaré des siens, l’avait contemplé une fois à sa vue. Il l’avait dévisagé également, ému de cet être démuni. Il s’était approché et avait ressenti non pas sa peur mais son saisissement.
Sa nature sauvage lui était étrangère, peut-être habituée à ses frères domestiqués, peut-être à son odeur équine, à moins que sa naïveté enfantine soit là la plus vraisemblable raison. Il s’était donc approché. Elle l’avait caressé de ses mains frêles et chaudes. Elle le regardait de ses grands yeux, ceux-ci se reflétant dans les siens si sombres.
Alors il s’était agenouillé comme un Seigneur devant sa Princesse. Elle s’était d’abord presque blottie sur son flanc. La poussant du museau, il l’avait à son tour conquis, l’amenant à monter sur son dos et à se tenir à sa crinière.
Il avait alors engagé ses pas ferme sur le sol.
Ecrasé par la chaleur déjà élevé en cette été, il avait alors trotté d’abord, puis accéléré peu à peu jusqu’au galop si salvateur et rafraichissant, les Vents courant le long de sa robe et soulevant celle de sa cavalière. Elle avait ri et ce borborygme l’avait charmé.
Oui, ses petits esclaffements étaient enjôleurs et cela lui avait plu.
Ils avaient ainsi parcouru les landes aux herbes hautes et grasses, d’autres plus boisées, longé les falaises surplombant l’océan, traversé des cours d’eau, des rus, des rivières et des eaux plus profondes. Ils avaient tournoyé, dansé même et peut-être fait le tour du monde…
Alors, la petite fille avait enlacé son encolure, là où pulsait de vie les artères de son cou et l’afflux de son sang bouillonnant d’énergie. Elle s’endormie bercée par le rythme régulier de son ami du jour, d’un soir ou d’une nuit, son ami imaginaire peut-être, son ami d’un rêve.
Qui étaient-ils ?
Qu’importe. Ils étaient là l’un pour l’autre partageant un même bonheur.
Sans doute se réveilleraient-ils au prochain matin venu en ayant oublié cette escapade onirique. Peut-être pas.
Les rêves sont peut-être la vérité que l’éveil estompe par ses mensonges…
Mais bientôt les ombres s’étaient étirées davantage, la Lune chassant déjà le Soleil à l’autre bord du Ciel.
Les étoiles avaient constellé peu à peu la voute céleste au-dessus de leurs têtes et ils avaient disparu dans le merveilleux de la nuit, au loin leur silhouette n’en créant le délinéament que d’une unique !
Et il y eut sages ou fous pour les voir…
… On raconterait alors la chose.
Oui, il y aurait contes et légendes pour narrer cette nuit étoilée et claire où des Hommes virent l’apparition d’une chose étrange : une apparition divine et surnaturelle d’un être à corps de cheval mais au buste de femme naissante mêlant sa crinière à sa chevelure sans qu’on en distingue plus l’une de l’autre !
Et depuis bien des petits garçons, surprenant les chuchotements de leurs parents devisant sur cette apparition, rêveraient ainsi d’être à la fois Ecuyer de l’animal et Chevalier de la Jouvencelle. Quand aux jeunes filles, jamais dés lors malgré le temps, leur passion parfois enflammée au contact de l’étalon ne se démentirait… Les poètes n’en seraient eux-non plus en reste quant à exhaler la vision insensée de l’Amazone et de sa monture.
Oh il faudrait les voir tramer leurs odes de femmes aux seins nues guidant leur monture par la seule volonté de leur propre animalité. Armées de lances et hurlant parmi les hennissements de leurs chevaux, ces trouvères exaltés n’auraient plus de cesse de déifier ces êtres insaisissables pour les mâles cherchant en vain à dominer l’amour de telles femelles ivres de liberté…
…
Mais tout cela notre Cheval n’en avait cure.
Il n’était qu’un cœur battant au rythme de ceux de ses pas… Mais plus encore de celui si doux, pur et vierge de celle qui l’aimait, oui simplement qui l’aimait.
***
Voilà à quoi rêvent les enfants.
Voilà à quoi rêvent parfois les Chevaux.
Quelle est donc la monture que chevauchent vos rêves, vous, oui vous, qui faites contes pour enfants ceux dont vous moquer par seule peur d’y chuter ! Que cette peur soit chassée et il y aura un Cheval pour venir à votre rencontre et vous emporter loin de toutes certitudes au travers des landes de l’amour et du dénuement, là où ne compte que la liberté des sentiments partagés.
Prêtez l’oreille et vous entendrez son hennissement… Il ressemble aux rires d’une petite fille !
FIN
Aparthé :
Voilà une dernière histoire cependant, même s’il n’était un enfant, ce à quoi rêva lui-aussi regardant passer ce curieux équipage, un plus ingrat animal, inspirant là dit-on une curieuse Fable. Pas tout à fait Cheval, pas tout à fait créature de légende non plus, notre pauvre être, à peut-être cette fois trop envier notre couple onirique n’aurait peut-être tout compte fait du n’y prêter trop de sens, exception demeurant à toute règle !
Le Pachyderme et la Licorne
Avant qu’on en fasse le bestiaire,
Un Unicorne
Savourant quelques salicornes
– Bon, de l’animal légendaire
Admettons-en pour la Fable
D’abord l’existence au préalable –
Fut surpris par un Pachyderme,
Non pas de ses pas fermes
Et fort bruyant
Mais par son air larmoyant :
« Pour d’un crin tisser la trame
De leur tapisserie, de vierges Dames,
À la Licorne
Et plus encore à sa corne
S’émeuvent à leur vue
Prête à en perdre toute vertu
Quand tu sembles n’avoir que désespoir,
Toi seul, à n’y envier que l’ivoire ! »
Aussitôt la bestiole massive
D’en faire cause de son humeur dépressive :
« Affublée de cette épée de Narval,
De l’Elasmotherium, mon ascendant,
J’en retrouverai le lustre d’antan
Quand sa lame seigneuriale
Régnait sur les terres préhistoriques ! »
On peut trouver la chose épique
Mais la fabuleuse créature,
Tant pis pour les enluminures,
Décida de se séparer de son appendice,
Objet de vice
Pour ceux le traquant
Ou lui-même s’y empêtrant !
Pourtant, même l’air si féroce
Pourvu d’une telle défense,
On n’eut alors plus qu’indifférence
À celui devenu… Rhinocéros :
D’un, on a beau faire comme,
On n’en égale jamais la somme
… Preuve en est à cette morale
Quand, revenu vers les Hommes,
On fit bête de somme
Notre décorné redevenu…simple Cheval !
La Faim
Oui, enfin, voilà la fin... Ou du moins « la Faim » !
Car voyons qu'après avoir sublimé par le mythe la naissance du Cheval, l'avoir fantasmé dans les yeux d'une enfant, l'avoir un peu brocardé dans cette dernière Fable… il est une chose plus déroutante encore :
Oui, celui dit de plus belle conquête de l'Homme, symbole de la liberté domestiquée, celui là même qui a permis à la civilisation humaine de prospérer, celui-là donc de finir à notre époque incertaine... dans l'assiette ! Je l'avais dit cela « mets » fin avec cynisme à cette créature de conte : mais de toute manière les hommes ne croient plus depuis longtemps aux contes...
!!!
· Il y a plus de 11 ans ·Merci énormément Anarchives !
C'est très aimable de ta part, vraiment. Je ne sais pas si ce texte mérite tant d'éloges étant donné qu'il n'a pas été retenu LOL...
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Et encore merci, vraiment.
valfables
Je ne sais que dire devant pareil texte... Je n'ai pas les mots. Le seul qui me vient est "merveilleux", et cela, dans les deux sens que ce terme possède. Cela va de soi, n'est-ce pas ?
· Il y a plus de 11 ans ·anarchives