Le ciel est trop bien pour toi

cat-tomate

Je suis faite de briques, de grosses briques rouges empilées les unes sur les autres et rassemblées par un petit monticule de ciment pourri.
Mais ça me va, c'est bien comme ça. 
Pour le moment, j'aime m'imaginer que tu es là et que je te vois dans le noir de mes paupières fermées. C'est triste de s'en remettre à si peu, mais je ne crois pas qu'une putain de brique mérite davantage.
Si je pouvais décoller, m'enfuir, possiblement oublier. Au lieu de ça, mon corps me semble aussi lourd que le poids de l'univers, mon âme se meurt à chaque pas. 
La route me semble dispendieuse, l'horizon est inatteignable. 
Je crois que les arbres me jugent d'être aussi lâche, peut-être aussi que je me fais des idées. Ça m'arrive régulièrement, ce ne serait pas impossible.
On me lâche souvent que j'ai du caractère, pour un pauvre petit bloc de roche. 
On me dit que j'ai trop d'ambitions, trop de désirs, trop d'opportunités étalées devant moi, et pourtant, que je ne saisi rien.
Je n'arrive pas à me bouger, je cherche toujours des idées nouvelles, mais merde, j'en ai déjà trop.
On dit de moi que je suis une brique, une grosse brique rouge isolée de tous et oubliée au fond d'un vieux chantier dévoré par les broussailles.
Moi j'assume que je suis juste trop éreintée pour bouger. La fatigue me gruge la volonté, elle me cloue lentement mais surement à un sol qui ne m'appartient pas.
Je vois les autres cueillir mes propres rêves et les consommer à l'os, les yeux trop brillants de leurs songes d'avenir.
Je souffre du complexe du "Et si seulement". Je dégage des remords, car je n'agis jamais à temps. C'est ma propre cage, mon cercle vicieux personnel, l'objet de ma mort lente.
Un filtre amer m'entoure et me séquestre dans les eaux sales de la déchéance et de la solitude, et je ne crois plus en la venue de quiconque dans mon enfer, merde, je n'ose même plus bouger. Mon corps a explosé en milliers de petits blocs de roches séparés qui attendent négligemment dans la poussière et pourrissent dans la noirceur.
Je suis devenue vulgaire, banale, éparpillée.
Je n'existe plus que dans l'attente de ma complète disparition, soulagement facile et assuré.
Je me désintègre au rythme de la vie qui suit son cours, je m'humilie devant cette nappe trop bleue qui est là tout en haut depuis le début, et qui m'observe, qui me nargue. Qui ne m'a jamais tendu la main.
Chaque jour j'écoute, mais je n'entends rien. Il n'y a pas de gens qui approchent, qui courent en faisant joyeusement crisser le gravier ou qui échappent des rires cristallins.
Il n'y a plus personne pour me sauver.
Alors je m'écroule, je sombre et pourrie sur le sol sans plus aucune trace de dignité.

Et le ciel il rit, merde, d'en haut il se marre bien.

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