Le Déconditionnement

enzogrimaldi7

Tout a été dit ou presque sur la condition humaine. Il y a même un fabuleux roman d'André Malraux qui porte ce titre. Plus récemment on a aussi revisité de fond en comble l'œuvre de Camus, un autre existentialiste obsédé malgré lui par la condition humaine, en essayant d'y jeter une nouvelle lumière sous la plume de l'habile Onfray.


Depuis que l'homme s'est mis à réfléchir, il a acquis une condition. Avant, il suffisait d'être instinctif, spontané, de survivre. Entre temps on a renfermé l'homme dans des modèles de vies qu'une poignée de sombres cupides tentent désespérément de rendre unique, uniforme, mondia(bo)lisé.


De la condition humaine qui était un bel idéal existentialiste voire existentiel, on est passé au conditionnement. Pour s'entendre dans cet univers d'endettés, il a fallu poser des conditions qui se sont peu à peu transformées en contrats où apparurent des clauses formant un contexte de plus en plus cloisonné alors que tout s'est développé autour pour le rendre plus ouvert, soit disant, à tous.


Ce conditionnement, que l'on nomme aussi dressage, s'est complexifié au fil du temps et prend sa source dans la haine du vide. La vie est belle à condition qu'on me dise ce que je dois faire, que les autres tracent ma route afin que je m'appuie sur un modèle que tout le monde, ou presque, suit, faute d'imagination. Il y aussi la peur du spectre anarchique : refuser l'absurde en ne suivant pas les autres c'est être un fauteur de trouble, une menace de la république. Ne t'éloigne pas trop du chemin, mon fils, ne va pas ressembler à ce gitan qui vit on ne sait trop de quoi, et qui est bizarre, car différent : il me fait peur.


L'un des piliers de cette institution de l'absurde est le mariage. L'amour c'est vague, et pour faire face à la précarité des relations, on va renfermer les couples dans un schéma délimité. Et cette coutume est rentrée si loin dans les mœurs, qu'aujourd'hui, même ceux pour qui le mariage n'a pas l'ombre d'un sens, se battent, non pas pour s'unir pour le meilleur et pour le pire, mais pour faire comme les autres: voilà des siècles qu'on voit les hétéros se marier en grandes pompes et festoyer avant de se déchirer, on veut être pareil. Les avocats et notaires s'en frottent déjà les mains, ce sont eux les grands bénéficiaires de ce piège à cons.


Ce qui nous ennuie ici ce n'est pas tant finalement l'idée intrinsèque de l'union sacrée mais ses dérives, en particulier celle qui a forcé et force encore à rendre négativement marginaux c'est-à-dire inférieurs, louches, bref peu fréquentables, ceux qui décidèrent et décident encore de ne pas sombrer dans la caricature du tableau familial pour les quelques misérables décennies de vie terrestre qui leur sont octroyées.


Et là encore ce n'est pas non plus à la belle utopie de la famille à laquelle nous nous attaquons. Il s'agit seulement ici d'alerter sur l'inutilité d'un conformisme conditionné et rigide de la cellule familiale et de dénoncer ses dangereux arcanes qui conduisent, dans les cas les plus extrêmes, à la soudaine et inexpliquée exécution des siens.


L'une des façons les plus efficaces de lutter contre ces absurdités est d'abord d'avoir le recul nécessaire sur certains schémas de vie imposés par un délire politique et soutenus par la pression sociale, bras armé d'un fascisme latent toujours prêt à sortir de sa boite, notamment en temps de crise. Puis, fort de cette clairvoyance, le but du jeu est de procéder peu à peu à son propre déconditionnement.


Si j'adhère à l'idée que l'influence machiavélique de certains pitres malfaisants, citons les accrocs de la bourse ou les extrémistes de tout bord, m'a enfermé dans une aliénation communautaire mécanisée, je me dois donc de démonter, petit à petit à tout le moins, les rouages de cette logique abominable qui me prive de ma liberté de pensée et me conduit à un mimétisme exacerbé,  détruisant ce que j'ai de plus cher au plus profond de ma condition d'humain: mon for intérieur.


Le déconditionnement, étape nécessaire dans la quête de la libération de soi, n'est pas un appel à la désobéissance aveugle anarchique. C'est un réflexe naturel qui permet, notamment, de refuser d'envoyer la charge maximale de volts sur un patient lors d'une expérience scientifique guidée par la bêtise. C'est m'empêcher de participer à un viol collectif. C'est cesser de pousser des cris de singe dans un stade. C'est recycler les surplus de nourriture des supermarchés plutôt que de les jeter à la poubelle. C'est aussi, peut - être, se dire que sur la planète terre, je ne suis que de (court) passage et que je ne possède rien ni personne, pas même ceux ou celles que j'ai pu, volontairement ou pas, créer.


Lors d'une promenade en ville il me vint d'affreux maux de tête. Je battis alors en retraite vers la campagne et sur un pré accueillant, je fis une pause. Je m'attendais néanmoins à ce que le silence fut rompu par un quelconque moteur, de tracteur tout au plus, un peu comme quand une machine infernale, pourtant bannie, fit irruption sur la place du village sous les yeux médusés du patriarche dans Ravage.


Mais au lieu du vacarme des pistons, ce fut un tout autre boucan, familier quoiqu'oublié, qui m'assaillit: un grondement de tonnerre soulevant forte poussière. J'étais, nu comme un ver, à quelques encablures du lieu de passage saisonnier des bisons, animal formidable fournissant nourriture et vêtement.


Je me félicitais de ne pas m'être retrouvé en plein milieu du troupeau lorsqu'une autre cavalcade endiablée me surprit: un groupe d'indiens armés d'arcs et de flèches s'abattait sur les bestiaux avec la férocité des affamés ayant enfin trouvé leur pitance.


J'en étais là à me dire que l'air du pays me faisait dangereusement halluciner, lorsqu'un beuglement m'éveilla. Je m'étais assoupi et, au lieu de bisons, ce furent quelques vaches clonées qui s'avançaient vers moi. Je n'eus que le temps de m'éloigner du pâturage.


Chemin faisant je méditais sur ce rêve et me dis que lorsque les bisons et leurs prédateurs, occupants on ne peut plus légitimes de ces lieux, seront de retour dans les parages, je n'aurai plus aucun doutes sur la condition humaine.

                                                                                   2012

https://youtu.be/2FEtiA18lZU

  • Avoir assez d'amour pour croire en les belles choses que l'humanité est capable d'enfanter, même parfois sans s'en rendre compte. Mais avoir aussi assez de méfiance et de mémoire pour savoir s'octroyer des moments loin du monde, loin des autres, loin d'un Milgram et ses électrochocs, loin des idoles qui accablent les lambdas... Il n'y a rien de plus bête et de plus dangereux qu'une foule qui ne reflechit plus mais se laisse fléchir à la volonté d'une poignée.

    · Il y a presque 7 ans ·
    Journalintimebon

    damephoenix

    • Oui tout est là. Et je vous invite, qd vs en aurez le tps, à visionner la vidéo du lien à droite: du pur bonheur. Vos paroles font du bien car lorsqu'on est clairvoyant Il nous faut traverser de longs couloirs où rien ne semble montrer la voie. On se raccroche au moindre jalon différent sur cette route de perdition.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • «  Ne t'éloignes pas trop du chemin, mon fils, ne va pas ressembler à ce gitan qui vit on ne sait trop de quoi » : le cliché est ici, éculé.

    Ce paragraphe qui comprend « C'est cesser de pousser des cris de singe dans un stade » : je suis d’accord. Nous sommes tous locataires.

    J’ai confiance dans Dame Nature. Tout est cycle. Nous en faisons partie. Nous disparaîtrons. Gaïa y veillera.

    · Il y a presque 7 ans ·
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    Marcus Volk

    • Tu fais parti du peuple Gitan ?

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • Je parlais de certains électeurs pour qui le cliché n'a pas été intégré...

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • AHh.. ceux-là...

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • Oui ceux là même. Quant à être gitan, j'ai le bonheur de croire que nous le sommes un peu tous et toutes.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Il parait que j'ai du sang Gitan dans les veines... Pour preuve ? les soirs de pleine lune je sors voler des poules... (encore un cliché d'enculé), pardon - éculé.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • Je te comprends jeune loup. Mais je ne puis que te pousser à trouver celle qui, au delà de te tenir tête, saura te dire les mots qui déchirent, te combler de ses silences, exhalter tes sens, partager les mêmes abysses et le mêmes sommets, te surprendre toujours. À part elle, rien.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Tu as bien résumé.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • https://www.youtube.com/watch?v=TLV3bbQg1ZY

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • https://www.youtube.com/watch?v=xdvT8D7QOuA

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • Ça finira bien par venir.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Bien sur. Tout est cycle.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Marcus Volk

  • Intéressant.Merci.

    · Il y a presque 7 ans ·
    51404 voda puzyri more pod vodoj 1920x1200 www.gde fon.com

    voda

  • Merci à vous. Il y a encore trop d'entraves en ce monde qui se dit libéré. https://youtu.be/DqsKcoF9ZvQ

    · Il y a presque 7 ans ·
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    enzogrimaldi7

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