Le dessin des arbres
ella
Prenez une feuille. Tracez-y un ciel dégagé, des arbres majestueux, des fleurs bourgeonnantes. Vous obtiendrez un très joli dessin, doux et poétique. Mais vous aurez beau y passer votre main, vous ne sentirez ni la rudesse des troncs, ni le parfum des fleurs. Et toute l'imagination que vous y mettrez ne le rendra pas plus vrai que votre quotidien.
De sa fenêtre, elle voyait des arbres.
De magnifiques arbres bien droits, feuillus et verts, se dressant de toute leur hauteur pour atteindre le ciel azur. Leurs branches, entrelacées, piquées de délicats ovales émeraude, laissaient filtrer des tâches de lumière venant moucheter de bleu la plante unicolore.
Ils étaient amassés au fond du jardin, poussant un peu n'importe comment au gré des saisons. Sapins, chênes, églantiers, tous rassemblés difformément, traçant une ligne d'horizon se détachant en zigzag sur le ciel.
Elle s'en gorgeait les yeux, de ces arbres. Leur relief cotonneux, leur dégradé de vert, jade ou malachite. Les quelques fleurs qui leur poussaient au printemps, ajoutant de délicates touches rosées ici ou là.
Mais plus que tout, elle aimait les songes que lui apportaient les arbres, elle qui n'était justement pas rêveuse. Rien n'était plus beau à ses yeux que de s'imaginer courant entre leurs troncs, les branches filant sur ses bras nus ; que de se voir un instant déchaussée dans l'herbe trop bien entretenue que le jardinier retaillait sans cesse. Elle, si jeune et ignorante, seule au milieu de ces centenaires détenteurs des vérités universelles. Oh oui, elle aimait ces instants de rêverie, juste parce que l'on rêve de ce que l'on ne peut avoir ; et qu'il y aurait toujours cette fenêtre et une traversée de jardin entre elle et les conifères.
C'est beau, l'inaccessible.
Puis la nuit tombait. Noire et épaisse, elle faisait disparaître les arbres en deux coups de baguette magique. La fenêtre de sa chambre se transformait en miroir. Ce n'était plus les arbres chéris qu'elle voyait lorsqu'elle tournait la tête, mais son propre visage. Ses cheveux noirs, raides, brillants de soin et d'huiles nourrissantes dont elle les enduisait. Ses yeux sombres et bridés qu'elle prenait tant de temps à cercler de poudre grise ou bleue. Ses lèvres bordeaux, ses pommettes roses, son teint parfait.
Tout ce paraître qui la caractérisait, ce visage qui était plus celui des produits de beauté que le sien, mais qui faisait qu'elle était elle. Cette face lisse qu'elle savait si bien embellir. Qu'elle embellissait tellement qu'elle devait parfois la tâter de ses mains pour être certaine que c'était la sienne. Trop parfaite en réalité, la main de la nature n'avait plus sa place.
Alors elle se reprenait à rêver aux arbres et à leur imparfaite beauté, à leur naturel dessin, à leur liberté. Elle n'avait plus envie que de démaquiller la superficialité de son visage, de passer un coton sur tout cela. Mais sans sa poudre, elle ne se reconnaissait plus ; son quotidien y était si attaché qu'elle s'abstenait de l'enlever.
C'est reposant l'immuable.
Sublime texte, tu viens de changer à jamais ma vision des arbres haha !
· Il y a plus de 9 ans ·lune1712
Contente que ça t'ait plu ^^
· Il y a plus de 9 ans ·ella
Magnifique
· Il y a plus de 9 ans ·dreamcatcher
Merci :)
· Il y a plus de 9 ans ·ella
C'est très joli. Les arbres ont de cela d'extraordinaires qu'ils ont la tête en l'air et les pieds bien sur terre. Un peu comme quand on écrit... mettre des mots sur son imaginaire. C'est finalement très artistique et très artisanal. Et tu y arrives très bien. Bravo
· Il y a plus de 9 ans ·anton-ar-kamm
Merci beaucoup pour ce commentaire ! *////*
· Il y a plus de 9 ans ·ella