Le Diktat du Changement
eymeric
Ce soir, je devais travailler mon mémoire, mais je ne l'ai pas fait. Comme quoi, c'est donné à tout le monde de changer d'avis. Le problème se trouve ailleurs, du moins selon moi. Le problème se trouve dans le fait que depuis maintenant quelque temps, quelques années peut-être, on essaye de m'imposer un constant changement. Comme si le fait de changer d'avis était devenu quasi-obligatoire, comme si être sûr de soi, de ses forces, était une tare. Il faudrait donc que je rentre dans une certaine mouvance quitte à délaisser des positions dans lesquelles je me plais et je suis enraciné depuis maintenant plusieurs années. Pourquoi ? Et bien parce que le contraire effraie les autres. Comprenez, la vingtaine et avoir des certitudes c'est affolant. « Enfin merde Jeune comment peux-tu savoir que tu n'évolueras jamais sur certains points ? » Bah je ne sais pas vieux, tu aimes le cassoulet aujourd'hui ? « Non ». Tu l'aimais il y a 10 ans ? « Non ». Et bien voilà, tu n'as pas changé d'un iota et le yoga n'y est pour rien. Personne ne t'a terriblement dérangé pour te dire « Mais non Jeune ne scande pas que tu n'aimes pas le cassoulet, tu ne sais pas peut-être qu'un jour … » Tu leur répondais que non jamais. Et bien il en va de même pour moi. Nous n'avons peut-être pas tous le même degré de sensibilité. Moi, mon cassoulet à moi, mon fer de lance c'est tout autre chose. Je ne sais pas, c'est l'amour, c'est ce que tu appelles ma « rébellion », c'est le fait de ne jamais vouloir d'enfant, ou c'est encore quelque chose de tout à fait futile à savoir que je sais que je n'arrêterai jamais de fumer. A vrai dire, peu importe, tu avais ton cassoulet, moi j'ai tout ça. Je vais même te dire vieux, ce n'est même pas un débat que j'ai particulièrement à avoir avec toi. Parce que ce diktat du changement, c'est tout aussi bien des jeunes que des vieux qui essayent de me l'imposer.
Et on l'impose sur tout et n'importe quoi. Faudrait que je change ma manière de m'habiller pour être à la mode, faudrait que je cesse de me qualifier d'hipster car c'est passé, faudrait que j'arrête les soirées pintes - mal bouffe car ce n'est pas assez healthy. En fait il n'y aurait pas une once de bonne chose à conserver, il faudrait que je sois en perpétuelle vitesse, en perpétuel changement, alors que j'aimerais réduire la vitesse. A contrario, si jamais je veux accélérer, on veut m'imposer une slow life parce que c'est de plus en plus en vogue. Mais en somme il faut du nouveau, du nouveau, du nouveau, c'est le netflix de la vie. On m'envoie d'un coup des trucs que je consomme à foison et d'une traite, et dés lors que j'ai fini : rebelote avec autre chose.
« Chose » je pense qu'à notre siècle ce mot n'a jamais eu autant sa place. Tout change tellement qu'on ne peut plus rien définir : mes certitudes deviennent des doutes, mes doutes des certitudes, tout se confond à tel point que ça devient des « choses » et c'est tout. Je ne mets plus de mots sur grands chose, j'ai le « je ne sais pas » facile… Mais c'est le diktat du changement qui veut ça ! J'ai l'impression qu'on veut constamment m'imposer des doutes, comme si moi, dans ma vingtaine, ou l'approchant, fort de pas mal d'années d'études et de certaines expériences de vie, je n'avais pas le droit d'être sûr. Comme si ça rassurait beaucoup plus de monde que je sois en position d'être câliné, tremblant et empli de peur. On ne veut pas que je sois sûr, le poil qui s'hérisse, que je grogne l'air de dire « laisse moi où je suis, j'y suis bien ». Ça, non ! Les gens traduisent immobilité par mal-être. Mais c'est absurde. Vous savez quel est le point commun entre des jambes et une porte ? La porte peut aussi bien être fermée qu'ouverte. On ne s'en offusque pas, c'est le propre d'une porte. Et bien les jambes c'est à peu près pareil : on peut aussi bien s'en servir pour avancer que pour rester droit dans ses bottes. Pourquoi vous offusquer de ça ?
Mais le pire reste à venir, le pire c'est lorsque vous tombez sur quelqu'un qui insiste, quelqu'un qui tient tête, quelqu'un qui reste les jambes plantées dans le sol et qui refuse le changement. Non pas par anti conformisme primaire de base, non non. Juste parce que la personne juge qu'elle est heureuse comme ça. Là commence alors tout une espèce de tribunal social et consensus qui vont dans un seul et même sens : il est imbu de lui même. Les mots s'enchainent alors : pédant, présomptueux, insultant. C'est déroutant à vrai dire … Enfin à la base on m'a demandé un avis, j'ai répondu un truc dont j'étais sûr : que je ne voulais pas changer. Dés cet instant un espèce d'orage s'abat sur moi. Pourtant, à aucun moment j'ai voulu imposer ma vision du non changement aux autres, je veux dire c'est vous qui venez toquer à ma porte. Et lorsque j'ignore l'appel du changement, vous braillez plus fort, vous m'insulter. Je trouve ça d'un étroitesse d'esprit effroyable : vouloir imposer sa conception de liberté à autrui. Existe-t-il quelque chose de plus antinomique que ça avec le concept de liberté même ? Parce que parfois, être sûr de quelque chose ne traduit ni le fait de feindre la rébellion, ni une insulte envers vous. Si vous vous sentez attaqué et obligé de reculer lorsque je déclare juste que je bougerai pas … C'est peut être qu'au fond, à force de trop de changement vous vous êtes perdu et retrouvé trop près du précipice…
Cela dit, quand bien même vous tomberiez, et je ne vous le souhaite pas, le diktat du changement a pour lui pas mal de petits soldats qui travaillent. A tel point, et ce sera le dernier, que la petite armée du changement est tellement grande qu'elle en vient à attaquer l'amour. Le mouvement a pris de l'ampleur, difficile alors de se retrouver en phase avec soi-même.
Voila comment souvent, cela fonctionne :
Il faudrait que, parce que plusieurs personnes m'ont rejeté, je décide de changer. Il faudrait donc que j'abandonne totalement l'hypothèse que je suis tombé plusieurs fois d'affilé sur des personnes qui me correspondent pas. Parce qu'en fait, souvent, ça se passe de la sorte : Je rencontre quelqu'un, et ça ne marche pas. Alors je reprends mon train de vie, j'arrive en gare et j'aperçois quelqu'un. Mais là encore, ça ne marche pas. Je re-tente une troisième fois mais là aussi : rebelote. Vient alors quelqu'un, quelqu'un qui se présente comme un contrôleur. Il m'explique alors que les 3 personnes précédentes me reprochent des choses, pas forcément les mêmes, mais elles me reprochent des choses. Parfois elles s'accordent sur les mêmes points, dont un particulier. Le contrôleur me prend alors à partie devant toute la gare et il me demande. Il me demande si je compte changer, si je compte écouter ce que ces personnes me reprochent où si je vais choisir d'une nouvelle fois prendre un nouveau train et faire perdre peut-être son temps à un passager. Forcément, happé par la pression sociale et devant les regards insistants de cette foule, bah… Je me défile, je me dis que sûrement il a raison le contrôleur et ces 3 personnes aussi. Forcément que ça doit être moi, à chaque fois ça ne marche pas, à chaque fois on me laisse sur le quai. Alors je change, je change sans même demander ce que ces personnes me reprochaient.
Donc me voila, me voila dans le flux de la gare, dans cette mouvance du changement qui est en fait si constante. C'est bien beau de changer toujours de quai, mais si c'est pour ne pas trouver une seule destination que l'on aime… Sauf que je suis fatigué, surtout que je ne me souviens même plus de la raison de ce changement. Vous allez me dire, normal, je n'ai jamais demandé. Donc pour une fois, en attendant le train, j'ai pris mon cellulaire et je me suis permis de joindre les 3 personne à la base de ce changement. Je leur ai demandé ce qu'elles avaient trouvé en commun chez moi qui leur déplaisait particulièrement. Vous voulez savoir la réponse que j'ai eu de leurs part ?
Je n'aimais pas le cassoulet.
ahahah!!! je suis certaine que les 3 portaient des ballerines! ;-)))
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
;))) buddha disait que la seule chose permanente, c'est le changement ; ))) je te souhaite de profiter de ce que tu es et de ce que tu aimes. Les "passagers " insatisfaits n'auraient de toute façon pas fait ton bonheur alors qu'importe ce qu'ils aiment en toi ou pas ? ;)
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
Cette vision appartient à Buddha ahah ! Le problème ce sont plus les passagers (de plus en plus fréquent) qui tentent d'embarquer les sédentaires sans leur demander leur avis ! Merci pour la lecture en tout cas !
· Il y a plus de 8 ans ·eymeric
L'obligation de rentrer dans un moule ?? Jamais l'essentiel est de rester soi ... et de l'assumer... n'en déplaise ... et pour la boutade du cassoulet, franchement il y a plus grave dans la vie ... Coup de gueule salutaire !!
· Il y a plus de 8 ans ·marielesmots
Le cassoulet n'est qu'un euphémisme ahah ! Merci pour la lecture
· Il y a plus de 8 ans ·eymeric