Le fantôme de Combourg

matt-anasazi

Text édité pour le défi 14 du club des jeteurs d'encre. http://jetez.l.encre.xoo.it/index.php

Le stylo se balançait entre ses doigts, indécis, refusant de cracher le moindre mot. Axel pestait contre lui-même de ne pouvoir mettre des mots sur ses pensées. Il avait promis aux « Red ghosts » son groupe de pouvoir écrire une chanson pour qu’ils puissent finir leur maquette mais rien n’y faisait : la sécheresse, le néant, le vide, que dalle !

Axel passa pour la vingtième fois les mains dans ses cheveux longs. Excédé, il les noua en queue de cheval. Il attrapa sans se lever son T-shirt « Korn » sur le dossier de sa chaise, enfila son jeans perdu au bas de son lit et s’allongea à nouveau sur son oreiller. Pfff ! Vivement que j’ai mon bac que je me casse d’ici ! J’irai à Rennes, je ferai des études et les week-ends je jouerai dans des clubs. La vie, quoi !

L’inspiration le fuyait : vite, sa guitare électrique. Il gratta les cordes, fit quelques gammes. Le médiator dans sa main gauche vibrait mais geste purement mécanique…

Le jeune garçon se leva dans un soupir rageur, posa son instrument. Marre d’être enfermé ! Marre de cette chambre, de cette maison de pierre, de cette ville de merde ! Combourg, con de bourg !  Con de bourges ! Tout ce qu’il détestait se trouvait concentré en quelques kilomètres carrés : une ambiance mémé de bretonnes bigotes surtout que sa petite amie était inscrite dans un lycée privé, un trou où il se passe rien, des gens toujours là pour le rabaisser à ton âge réel.

Sa doudoune treillis compléta son « accoutrement », sa « tenue de camouflage ». Les mots de ses darons. Ils ne supportaient pas son style vestimentaire.  Ses parents ne manquaient jamais de lui rappeler qu’ayant 16 ans, ils avaient encore un droit de regard sur ses affaires. Axel râlait à chaque remarque mais ils étaient quand même assez cools pour lui laisser s’habiller comme il voulait. Les marches disparues, la porte fermée, il se retrouva en territoire ennemi. La rue, ses maisons basses de pierre grise au mortier blanc, les petits vieux, les quadras, le même rien sept jours sur sept. Ah non, y avait animation le dimanche : la messe et le marché ! Youpi !

Axel se pressait pour fuir tout ça. Le week-end ne lui apportait qu’un soulagement : retrouver Julie. Tout lui manquait tellement de sa chérie la semaine : ses cheveux blonds qu’elle avait méchés en noir et rose, son humour sombre mais sachant s’arrêter dans un sourire à décoincer un brise-glace, sa voix de sirène, ses compositions musicales qui les prenaient aux tripes. Entre amour sauvage et no future. Ils devaient se retrouver au centre-ville. Après, ils iraient au bord du lac pour écrire ensemble. Des chansons et leur histoire, aussi.

Ses pas l’amenèrent à la place Chateaubriand. LE Chateaubriand : il en avait soupé du Chateaubriand ! Appris du Chateaubriand depuis le primaire, collège Chateaubriand, lycée Chateaubriand. Comme si ça touchait quelqu’un de nos jours les pensées d’un mec clamsé depuis plus de 150 ans, qui passait sa vie à chialer qu’il était raide dingue de sa sœur ! Alors qu’il ruminait sa rancœur contre la ville, ses yeux tombèrent sur la plaque sous la statue du « plus grand des Combourgeois » – en combien de mots, pensait-il souvent le rire coincé dans la gorge ! –. Les mots gravés à l’or fin s’illuminèrent sous l’effet du soleil rasant les toits : « Chaque homme renferme en soi un monde à part, étranger aux lois et aux destinées générales des siècles. »

Axel resta soufflé : il était passé devant cette statue des centaines de fois sans jamais remarquer la phrase. Ce qu’Axel ressentait se retrouvait là tout entier : les idées que l’on a et que les gens autour ne comprennent pas, celles des autres qu’on essaie de te rentrer dans la tête à coup de burin. Le jeune ado leva les yeux sur Chateaubriand, figé à jamais dans la pierre. Bras écartés, chapeau en main, mais une jambe croisée avec l’air de poser.

« Là voilà, ma chanson, un mec qui s’emmerde chaque jour et qui trouve malgré tout des trucs pour le booster : le sourire de sa copine, des moments cools, des souvenirs ! »

Axel enleva l’élastique de sa chevelure.

« T’avais une putain de rockn’Roll attitude, finalement !, souffla-t-il à la statue. » Et Axel leva l’index et l’annulaire. Il lui sembla que Chateaubriand esquissa un sourire.

  • Des images à foison, rythmées par de l'humour, et une superbe chute. En avant ta musique.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Image

    Archange Flippé

  • Tomber sur le mot ou la phrase qui fait tilt en somme et la vision change, après il suffit d'aller chemin faisant... pour un ado, la route est longue et je parierais que ton Axel regardera plus attentivement ce l'entoure à l'avenir!

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

  • Merci Rafi !J'ai flippé en voyant "Combourg" mais je me suis laissé guider par l'ombre de François-René ! Il faut dire que je n'étais pas loin de ressentir les mêmes idées concernant Chateaubriand à une époque...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Combourg, j'aurai sans doute pensé à Chateaubriand si j'avais eu ce mot, mais je n'aurai jamais réussi à en faire un texte comme le tien ! Drôle, nostalgique, et avec une belle morale à la fin ...

    C'est un peu comme une nouvelle initiatique en fait ^^

    · Il y a plus de 10 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

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