Le grand départ des fleurs

ecriteuse

Les fleurs se posaient beaucoup de questions, la terre ne tournait plus bien rond…

La pensée voulait s’en aller

La rose rétorquait que rien n’était désespéré

Le cactus, lui s’en piquait

Plus d’air, plus de terre pleurait dans son coin la primevère.

Plus d’eau, se plaignait le coquelicot

L’impatient râlait tout le temps:

Je perds mes pétales, « tout fout le camp », décidément ! Le coucou, lui, se moquait de tout

Et ne parlait plus qu’au hibou.

Le nénuphar en avait vraiment trop marre

Et plongea dans sa mare.

Le chèvrefeuille lançait des « bê bê bê » À toute bête qui voulait bien l’entendre

La marguerite en perdait le rythme
Je t’aime un peu, beaucoup, un peu, beaucoup, zut ! Je sais plus.

Le vent souff la un bon coup, une pluie de pétales s’envola...

-  Taisez-vous ou je vous envoie valser de l’autre côté !

-  Il fait peut-être plus beau de l’autre côté, minauda colchique dans ses prés.

-  Tout ça ne t’inquiète pas toi, insista le souci

-  Regarde-moi cette terre, elle est plus pauvre que moi, s’égosilla la misère, misère...

Le vent, gêné éternua.

- C’est une révolte ?  questionna le vent Aquilon

- Non, une révolution, gronda le rhododendron

- Je réunis le Grand Parlevent

- A moi tous les représentants, hurle le vent, Brise, Bourrasque, Rafale, Matinière, Mistral, Harmattan,  Sirocco, Zéphyr.

Il y a sur terre grand chambardement !

La violette sur elle se replia et le bleu de la nuit s’installa.

Le lendemain sur la colline « Pic à fleurs »

 - Encore un matin sans rosée, se désola le dahlia en rejoignant le bataillon de fleurs.

- Taisez-vous et rendez-vous au sommet, ordonna la pensée.

Le bouton d’or qui s’en grattait chantonnait 
 « Gentil coquelicot, mesdames » à sa bien  aimée.

- Tu n’as pas mieux à faire, rejoins les autres, allez hop ! au trot, marmonna le papyrus.

A lui fallait pas lui en raconter, ancien communiste, il n’en était pas à sa première révolution le vieux bougon.

La mouette rieuse du haut de son perchoir ne riait plus du tout.

 - Trop de vent dans les branches, il y a du pétale dans l’air, ça ne sent pas bon la rose tout ça, Dame pervenche* me renseignera bien… Et l’oiseau s’envola à tire-d’aile.

Rassemblées en un énorme bouquet, les fleurs sans canon avançaient.

- Tu pistil* dans ta barbe, mon pauvre lilas, chante plus fort

Le lilas hurla en clé de fa.

 - Tu n’as aucune mesure, lui balança la brindille, qui avait l’oreille musicienne.

 - La clé de sol lilas, la clé de sol, nom d’une pivoine à fleurs, ça manque de terreau tout ça !

 La brindille s’éloigna en sautillant, elle croisa le pissenlit qui se plaignait de ne pas avoir assez dormi.

- Colchiques dans les prés*, fleurissent, fleurissent, Colchiques dans les prés c’est la fin de l’été, chantaient à l’unisson, les fleurs en bataillon.

 Les vents soufflaient d’impatience

 -  Je retiens mon souffle, siffla Aquilon.

 -  Que font toutes ces fleurs, nous sommes en état d’urgence et ces dames content fleurette en chemin, bougonna la Bourrasque.

 La bise légère comme à son habitude calma les gros vents.

La pensée enfin arriva et aux vents se présenta :

- Je suis la pensée et les fleurs me donnent tout pouvoir, ici
je parlerai au nom du grand bouquet, je suis la pensée d’avant-garde, le reste de la troupe arrive.

A l’horizon surgit la tulipe noire qui chevauchait une herbe folle mais un peu molle, l’herbe buta contre un roseau et envoya notre tulipe sur les roses.

Le roseau vexé traita la tulipe de tous les noms d’oiseaux qu’il connaissait et il en connaissait beaucoup !  

- Je plie et ne romps pas, dit-il en se redressant. Un vieux chêne planté là le félicita de ce bon mot :

- Tout vous est aquilon ; tout me semble Zéphyr, continua le roseau 

Les vents interrogateurs se tournèrent vers Aquilon et Zéphyr.

 - Jean de Lafontaine ?

 - Passons, passons, revenons à nos boutons, nous nous éparpillons.

Les fleurs enfin rassemblées sur la colline reprenaient leur souffle en se laissant bercer par la brise. 

La pensée fit sa révérence aux vents et prit la parole :
 - Nous sommes rassemblés aujourd’hui sur la colline Pic à fleurs pour exprimer notre inquiétude et vous demander votre aide.

 - Grand Aquilon, la terre ne tourne plus bien rond et nous en souffrons.

 - Nous souffrons, reprit en chœur le bouquet

 - On nous coupe, on nous marche dessus, on nous force à pousser trop vite, on nous arrose de produits chimiques, nous ne pouvons plus pousser ou nous voulons, il y a de moins en moins de terre et de plus en plus de béton !

Le bataillon de fleurs en chœur reprit :

- Trop de béton

 - Certaines d’entre nous disparaissent définitivement, notre ami le coquelicot par exemple est en grand danger…

 - Nous connaissons le côté marginal du coquelicot, rétorquât la Rafale.

 - Il est assez bohème, certes, mais nous l’aimons ainsi, murmura fleur bleue :

 - Le coquelicot n’est qu’un sale vagabond, tout comme le chardon, parlons de fleurs sérieuses, persifla l’orchidée; moi l’homme m’aime bien, je suis son luxe, sa perle rare…

 Hors d’elle, la jonquille faillit en perdre son bulbe :

 - Ma pauvre, tout chez toi n’est qu’artifice.

 - Cette  discussion au ras de la pâquerette commence à me fatiguer le courant d’air, rouspéta la Bourrasque.

Les pâquerettes vexées menacèrent de quitter  l’assemblée. L’arrière-pensée coupa la parole à la pensée d’avant-garde :

- Soit nous réagissons, soit nous disparaissons, et vive les fleurs en plastique.

 La fleur d’ail timidement murmura :

 - Nos parfums, semble t-il, sont en train de se modifier, de diminuer…

 - Même les abeilles n’arrivent plus à nous trouver pour nous butiner, rajouta le lilas.

 Sentant le vent venir, la brise pleurnicha:

 - Vous allez bientôt nous accuser de ne pas faire notre travail, mais avec toute cette pollution, nous ne pouvons plus faire notre boulot correctement.

- Sans zabeilles nous nous reproduisons plus, et si elles nous zentent plus, zé foutu, zozota l’azalée.

 - Zé foutu, reprit en chœur le bouquet. 

Certains vents m’en avaient soufflé un mot, mais je ne me doutais pas que la situation était aussi grave, tempêta Aquilon.

 - Il y a du vent dans les voiles moussaillons, renchérit le Mistral.

A fleur de peau, la pensée d’avant-garde laissa s’échapper quelques larmes de rosée.

Le lilas ne pouvait pas la consoler.

 Une bise légère vint la réconforter et lui sécher ses larmes:

 - Pas de mauvaises pensées, petite fleur garde ta bonne humeur, le Grand Parlevent ici présent comprend vos tourments, faut laisser le temps aux vents de trouver une solution.

La guerre des bottes

Une botte de soucis se chamaillait avec l’orchidée qui continuait à dire qu’il n’y avait pas de souci à se faire.

 - Résidu de compost*, retourne dans ta pépinière*, espèce de fleur trafiquée lui jeta en pleine corolle un souci en colère.

 L’orchidée, vexée, le traita de mauvaise graine et se rangea au côté d’une botte de roses.

 Le papyrus s’adressa aux roses rouges :

 - Laissez tomber l’orchidée, cette fleur ne pense qu’à elle, elle n’a pas le sens de la  communauté.

 Une botte de narcisses mal élevée injuria le vieux papyrus et invita les fleurs à les rejoindre.

- Et alors grand-père, y a pas de mal de penser qu’à soi minauda un narcisse en se mirant dans une flaque d’eau.

 - Où justice est en vigueur, la république est en fleur, récita le vieux militant.

Le ciel se sentant coupable s’était habillé de tous ses gris pendant que les vents parleventaient*.

La botte de radis voulut s’en mêler :

 - Désolée les fleurs mais nous les légumes, nous vivons la même salastrophe.

 - Catastrophe, clades en latin, rectifia le savant géranium, toute la flore est concernée.

 - La tomate rouge de colère trouvait scandaleux d’être mis en boîte à tout bout de champs.

Les arbres secouèrent leurs branches en guise d’assentiment.

 Le beau sapin roi des forêts raconta qu’il ne pouvait plus supporter Noël :

 - Un vrai massacre, ils nous coupent en pleine fleur de l’âge, nous déguisent et enfin nous abandonnent sur les trottoirs jusqu’à ce que mort s’ensuive.

 Le gros chêne jeta ses feuilles malades en rouspétant :

  - Les arbres sont atteints de maladies bizarres, le saule pleureur pleure plus que d’habitude, les saisons ne sont plus ce qu’elles étaient…Alors nous bourgeonnons n’importe comment.

- Purée de purée, les légumes doivent pousser été comme hiver, on nous fait mûrir dans des maisons transparentes en quatrième vitesse, et gare si nous laissons un asticot nous chatouiller le légume,  rajouta la botte de carottes, on nous saoule aux pesticides.

 - On nous verse des produits qui ferait fuir la plus grosse des mouches, vous me comprenez, nous sommes devenus des intoxiqués, renchérit le céleri.

L’impatient s’impatientait :

 - Les vents prennent leur temps, nous sommes une urgence très urgente !

 - La pensée d’avant-garde la calma en lui présentant camomille.

 - L’humanité ne s’arrête pas qu’aux hommes, nous faisons partie du même monde, ils arrêteront leur folie sinon il n’y aura plus de terre.

 - Tu es trop confiante, camomille, regarde ce que nous sommes devenues. Non, il faut réagir très vite, explosa l’impatient.

 - Dame nature est en colère, cria une mouette dans le ciel.

Les oiseaux enfin prévenus allaient de bottes en bottes, de bouquet en bouquet de fleur en fleur, d’arbre en arbre, de fruit en fruit, de légume en légume, en chantant tristement :

 -Voici le mois de mai, où les fleurs volent au vent*. Où les fleurs volent au vent, si jolie mignonne.

Où les fleurs volent au vent, si mignonnement. La pluie s’en était mêlée.

Les fleurs toujours au garde-à-vous commençaient à prendre racine.

Le grand Parlevent avait délibéré:

 - Nous les vents, à l’occasion de ce grand chambardement, avons pris grande décision.

- Nous, Aquilon, en tant que représentant des grands vents, Brise, Bourrasque, Rafale, Matinière, Mistral, Harmattan, Sirocco, Zéphyr, avons décidé à ce jour de printemps du grand départ des fleurs.

 - Départ, reprirent en chœur toutes les fleurs

 - Vous partez, vous les fleurs, en éclaireurs, le reste de la flore

ici vous attendra. Votre mission, si vous l’acceptez, sera de trouver dans la galaxie une planète plus accueillante, bienveillante à tous les égards.

Si cette planète est habitée, que ses habitants soient respectueux de toutes formes de vies, respectueux de leur environnement qu’il soit végétal ou animal.

 Ainsi en a décidé le grand Parlevent.

La pensée d’avant-garde, émue, prit à son tour la parole :

 - Grand Aquilon, nous nous en remettons à vous et à votre conseil.

 La fleur se tourna face au bataillon :

 - Mes amis, il n’y a guère d’autre solution que ce grand départ, il s’agit là de notre survie !

 La lune avait pris sa place dans le ciel, les étoiles s’étaient faites plus belles encore, le silence était bleu comme la nuit, l’oiseau sur son arbre attendait, l’arbre se grandissait.

 Les vents, en bons soldats du temps, se tenaient prêts.

 Le bataillon des fleurs réunies sur la colline avait serré les rangs.

 Aquilon et tous ses vents leur faisaient face.

  La bise commença son souffle léger, envoya sa dernière caresse sur chacune des fleurs, un frémissement de pétales annonça le grand départ.

 - Au nom de tous les vents, je vous salue, souffla Aquilon. Si l’homme reprend ses esprits, nous vous le ferons savoir. Vos couleurs, vos parfums, votre poésie vont nous manquer. Le monde sans vous sera bien triste, bien monotone, bon voyage mes amies.

 Et d’une voix forte il en appela  à tous les vents :

 - Bourrasque, Rafale, Matinière, Mistral, Harmattan, Sirocco, Zéphyr soufflez, soufflez…

Un tourbillon de pétales multicolores remplit le ciel, le grand bal des fleurs avait commencé, éclairé par la lune et ses étoiles, les vents chantaient à l’unisson, les oiseaux volaient trop haut.

Le ballet habilla sa dernière nuit jusqu’au petit matin.

La terre se réveilla pauvre de toutes ses fleurs, une terre sans couleur. Le monde était devenu tout gris.

 Les fleurs ont commencé leur long voyage, elles cherchent la vie tout simplement.
 
Si l’homme devait changer, reprendre un peu de bon sens ! Elles reviendraient sûrement.

 

 

 

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