Je me rappelle le matin où le soleil n'est pas venu.

riatto

Je me rappelle le matin où le soleil n’est pas venu.

Je m’étais levé de bonne heure, un jour comme les autres en apparence.
Prenant soin de ne pas éveiller mon père, je m’étais installé devant l’écran pour avaler quelques infos et mon petit-déjeuner.


 Deux heures avaient coulé avant que mon horloge biologique, ne tire un signal d’alarme inquiet, quelque part au fond de mon ventre. Les aiguilles de la cuisine marquaient onze heures lorsque je me décidai à revenir dans la chambre.

Mon père était assis sur le lit, et tripotait nerveusement sa montre automatique en lançant des regards incrédules par la fenêtre. Je grimpai près de lui pour l’embrasser, mais pris soin de ne poser aucune question, conscient qu’il n’avait pas plus que moi d’explication rationnelle à ce phénomène. Nous restâmes silencieux quelques minutes, scrutant tour à tour la nuit qui s’attardait et le cadran de la montre dont les aiguilles indiquaient onze heures quinze. On attaquait le mois de Juillet. Mon père restait silencieux.

Je me souviens aussi du silence qui a suivi l’extinction du poste, dans le salon.

Le dernier flash faisait état d’un décalage horaire inexplicable relayé par toutes les chaînes.
Quelque part, loin de chez nous, on avait vu des dizaines de milliers de personnes descendus dans les rues d’une ville dont j’ai oublié le nom. Quelques scènes de paniques tremblantes avaient éclaboussé le plasma, avant que celui-ci ne s’éteigne brutalement.

Quelque part, ailleurs, le soleil ne s’était pas couché, et un millier de villes sans sommeil s’enflammait sous les hurlements de fanatiques religieux multicolores.

Mais d’où nous étions, nous ne pouvions que ressentir la gêne d’un silence nouveau, absurde.

On s’est assis face à la fenêtre, mon père n’avait toujours pas dit un mot. Et on a regardé s’éteindre un par un les quartiers de la ville. Bloc après bloc, rue après rue, comme une guirlande de Noël qu’on débranche quand les fêtes sont finies et qu’on vajeter le sapin aux ordures. On a regardé la ville se laisser dévorer sans combattre par la nuit calme, profonde.

Quand l’obscurité est tombée sur nous, mon père m’a attrapé et m’a posé sur ses genoux, toujours sans un mot. On est resté là tous les deux dans les ténèbres du salon, à attendre que quelque chose arrive. On respirait sans bruit, nos poitrines se soulevant et s’abaissant au même rythme. Je n’avais pas peur car mon père n’avait pas peur.

Juste après ça on a compris.
On a plongé nos yeux dans le ciel, et pour la première fois depuis le matin, mon père a ouvert la bouche. Des milliers de milliers de petits points étincelants s’allumaient sur nos têtes. Le ciel se mouchetait d’innombrables piqûres clignotantes. J’ouvrai les yeux en grand, transporté par ce spectacle grandiose.

“ Papa... c’est quoi tout ça ? j’ai demandé. » Dans un souffle, mon Père a dit :

“ On appelle ça des étoiles, mon chéri...”

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