Le haut de l'affiche
Marion Danan
Stop! C'en était trop! Tout ce cirque devait cesser !
Il n'avait pas fait 15 ans d'études pour en arriver là! Il sauvait des vies ! alors quoi ? ça compte pour du beurre, réparer les gens, faire un battre un cœur à nouveau ? Toutes ces heures à travailler plus jeune tandis que ces amis faisaient la fête et s'amusait? A combien de concert il n'avait pas assisté ? Combien de cuite il n'avait pas prise ? Combien de film il n'avait pas vu ? Combien de fois il avait prononcé cette phrase « je ne peux pas, j'ai du boulot... » ? Combien de premier baiser il avait raté pour réussir ses examens et être le meilleur ? Car c'était selon lui sa seule issue : être le meilleur. Effacer enfin cette tare en étant le meilleur.
Il avait compris très tôt que son patronyme allait être un problème. Il avait subi les pires humiliations enfantines, vol de cartable, moqueries, enfermement dans les placards, WC, salle de classe,… tout ce qui pouvait se fermer en somme, à cause de son état civil. Il avait supplié sa mère de faire quelque chose, d'en changer, de trouver un pseudonyme. « Allons mon chéri, tu portes le nom de mon père qui portait le nom de son père…tu sais c'est notre seul héritage, c'est important, ton grand père aurait été si fier, promets-moi de rien changer, et de faire honneur à ce qu'il reste de notre famille » .
Elle avait brandi cet argument jusque dans sa tombe, ignorant l'autre face du problème … L'Autre, la vedette populaire qui traversait les générations, celui qui restait dans la culture collective et refusait de tomber dans l'oubli, celui qui lui avait volé son enfance et son adolescence. Voilà pourquoi il devait être le meilleur, pour ne pas lui céder aussi sa vie d'adulte.
Et il avait réussi. Il était sorti major de promo, avait fait son internat auprès des plus grands professeurs dans les services les mieux côtés et avait gravit tous les échelons jusqu'au sommet. Il était respecté de toute la profession en tant que médecin. Mais en tant qu'homme, rien à faire. Il entendait les railleries dans les salles de repos, même les patients y aller de leurs plaisanteries. Il enchainait les gardes pour ne pas se retrouver face à la médiocrité de sa vie privé. Quand il rentrait chez lui, c'était toujours seul. Même les femmes il avait dû y renoncer, à cause de ça sans doute! Il avait un physique quelconque. Rien de rebutant ,bien que pas non plus le charme ravageur d'un Clooney ,et il avait un revenu très largement supérieur à la moyenne, qu'il ne savait comment dépenser...(What else ?) Ça aurait dû en attirer plus d'une. Des types plus moches et moins riches paradaient avec des gravures de modes accrochées au porte-monnaie. Il s'était même préparé à l'idée. Il avait imaginé une femme sublime, qui le tromperait sans doute mais qui lui donnerait ce crédit qui lui manquait en dehors de l'hôpital. Mais aucune n'eut le courage de porter son nom et encore moins de lui donner un enfant. Il n'apprendrait jamais un fils à faire du vélo, il ne transmettrait rien…
Il avait alors voulu donner des cours à la faculté de médecine… Mais la situation n'était pas tenable, ça, encore, l'avait forcé à abandonner.
Alors à 45 ans, il avait décidé de s'engager en mission humanitaire en Afghanistan, là où les chirurgiens cardiaques étaient plus recherchés que sur un 18 trous. Il y avait cru a cette forme de rédemption...sa nouvelle vie. C'était sur là-bas à Kaboul, il intégrerai enfin son statut de grand homme respectable. Son unique salut était loin de la France. Pourquoi n'avait -il pas eu cette idée géniale plus tôt ?!
Et ça a avait fonctionné! 29 jours d'espoir, auquel il ne croyait pas lui-même, tant c'était nouveau. Il s'était redressé, osait regarder les gens dans les yeux, il commençait à sourire, et s'habituait à ce simple « Docteur », lorsqu'on s'adressait à lui. Ce « Docteur » si neutre, sans arrières pensées, sans mauvais esprit. Un « Docteur » empreint de respect et, parfois lui sembla-t-il, d'un peu de peur. Il ne se réjouissait pas particulièrement de faire peur, mais il fallait bien avouer que ne plus être l'objet de moquerie était revigorant. D'ailleurs ce matin-là, en enfilant sa blouse, face au miroir, il s'était presque trouvé beau.
Mais la journée s'avéra lourde et pénible , des attaques avaient eu lieu et de nombreux soldats étaient arrivés en urgence très abimés. Son dernier patient était à peine stabilisé lorsqu'il entra en salle de repos épuisé.
Et ce fut le choc, il sentit une sueur froide le saisir, et de la bile remonter dans sa gorge, la colère le crisper, et la tristesse l'étouffait. Ses collègues lui avait préparé une fête pour son 1er mois , certains avaient eu vent de son « originalité ». Et tous, voulant lui faire plaisir en lui rappelant sa France (mais l'enfer est pavé de bonnes intentions) entonnèrent en chœur un « Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles » à peine audible vu les accents improbables et les origines de chacun… Son pire cauchemar emballé dans un papier de bienveillance lui explosa au visage au moment où il s'y attendait le moins. A peine reprit –il ses esprit qu'il entendit les portes claquer et les pas de son infirmière arriver à vitesse anormalement rapide. Son dernier patient, manifestement pas si stabilisé que ça, venait de mourir. Ce fut le coup de trop.
Il avait besoin d'air, il allait exploser ou vomir. Il arracha son masque et sa blouse, et partit en courant hors de l'hôpital. Son sang battait si fort dans ses tempes et il pleurait tant qu'il ne vit pas la voiture qui le renversa. Il mourut sur le coup.
Sans familles ni amis connu chez lui, on l'enterra ici à Kaboul.
Sur sa pierre tombale on inscrivit : « Dr Charles Aznavour, un type formedable »
excellent
· Il y a plus de 9 ans ·dreamcatcher
Merci!
· Il y a plus de 9 ans ·Marion Danan
y tourne le texte, sa fin est redoutable
· Il y a plus de 9 ans ·Christophe Paris
" redou, redou, redoutable "
· Il y a plus de 9 ans ·Marion Danan
Bien trouvé moqueuse va
· Il y a plus de 9 ans ·Christophe Paris
:)
· Il y a plus de 9 ans ·Marion Danan
Excellent rythme ! Et "paf" le chien ! "Emmenez-moi au bout du cimetière ! Dans le second paragraphe "il avait suppliait sa mère..." & "il avait une physiquement quelconque" un peu plus loin n'arrêtent pas un pur-sang au galop mais il faut passer tous les brins du tapis-touffe dans le patron si l'on veut qu'il soit beau.
· Il y a plus de 9 ans ·koss-ultane
Corrigé! Merci pour la comparaison, et surtout merci pour le "emmenez-moi au bout du cimetière ", j'adore!
· Il y a plus de 9 ans ·Pour le reste je ne vous oubli pas, je finis Vargas et je m'y mets!
Marion Danan
Faudrait peut-être mieux lire une grosse daube juste avant. Z'avez pas un vieux BHL ou un Sulitzer qui cale une armoire ?
· Il y a plus de 9 ans ·koss-ultane