Le jazz et la Diva.
Christophe Hulé
Il aurait bien voulu, il en avait toujours rêvé, sur la scène immense, arrivé un peu après l'orchestre pour rejoindre le piano au milieu. On lui aurait pardonné ses mimiques un peu maniérées, on pardonne tout à ceux qui ont du talent.
Mais dans la vie réelle, comme toujours, les rêves échouent. Des notes jetées à toute vitesse et sur tous les octaves, des silences calculés au millimètre.
Bon, c'est sa journée qui commence, à 22 heures. Il doit égrainer les standards de jazz aux sons des verres, des conversations et des rires.
Les yeux rivés sur le clavier, il compte les heures, comme un fonctionnaire, pour un cachet minable.
Pendant des décennies, il a cherché la perle. Une interprétation qui ferait la différence. Et de Chopin, et Mozart et tous ces génies, il a tenté en vain de percer les secrets. En vain ? Pas vraiment, il y est arrivé mais personne n'a su, ou voulu, reconnaître son génie.
Pour les noctambules avinés dans la pénombre, il n'est qu'un marginal de plus, un gagne-misère un peu louche.
Il doit dormir dans un taudis toute la journée, pendant que les autres ont un vrai travail et une vie de famille.
Qu'ils pensent ce qu'ils veulent.
Il dort peu et s'entête. Je dois sortir de l'ornière. Il révise ses gammes inlassablement. Les journées se répètent ainsi ad nauseam. Beethoven et Gershwin, Debussy et Elllington, de quoi devenir dingue.
Mon vieux vous semblez bien taciturne. Rien à dire sur votre talent. Mais ces gens sont là pour se détendre. Alors un petit sourire de temps en temps ou quelques clins d'œil aux filles, on ne vous demande pas l'impossible.
Une diva célèbre est venue un soir. Un peu éméchée et très triste, elle s'est approchée du piano et, accessoirement, du pianiste.
Vous me semblez bien triste et lointain, pourtant vous jouez divinement, un talent pareil devrait vous rendre heureux. C'est un don vous savez.
Je vais vous faire une confidence, même si on ne se connaît pas et que vous en avez peut-être rien à faire, je sens que vous et moi, on a un point commun. Comme ça, d'instinct.
Moi je voulais être chanteuse d'opéra et je suis dans le music hall, des paillettes et des plumes et le reste. Je gagne plus que vous sur le plan matériel et je loge dans les palaces, mais entre vous et moi, il n'y a pas beaucoup de différences. Enfin je me trompe peut-être.
Pour la première fois en ces lieux, il a levé les yeux. Une déesse un peu bourrée c'est vrai, mais elle l'a remarqué, c'est déjà quelque chose et lui a fait des confidences.
Vous savez, je ne suis pas là par hasard. J'ai assisté à une de vos auditions, je sais que vous êtes candidat chaque fois qu'une occasion se présente. J'ai suivi votre parcours car, comme vous, je suis un oiseau de nuit.
Venez donc prendre un verre, le patron ne me refuse rien.
On a mis la sono aussi sec. Un coup monté ? Sans doute.
Ses yeux pétillants, sa bouche cerise et ses fossettes. Elle le manipulait c‘est sûr. Il restait sur ses gardes.
Écoutez, je vois bien que vous vous méfiez. Quitte à me répéter, on a un point commun. Il faut qu'on se revoit pour les affaires. J'ai un projet et je veux que vous m'aidiez.
A cet instant, il avait perçu que tout allait changer.
Tous les jours, dans son taudis ou quelque palace, ils ont mis leur projet en partitions.
Il a créé des symphonies, presque sans effort, elle était sa muse et sa voix l'inspirait.
Ils ont perfectionné la chose et contacté les chefs d'orchestres parmi les plus illustres.
Et leur rêve commun s'est réalisé sur toutes les scènes du monde.
Leur mariage a fait la une de tous les magazines.
Les enfants sont heureux, on ne leur demande rien.
Qu'ils fassent ce qui leur plaît et que leurs rêves se réalisent, voilà l'essentiel.
Ce soir les enfants on va faire un concert. Vous pouvez chanter faux et taper sur la table, votre mère et moi-même on en sera ravi.
Loin du tapage joyeux attendu, chacun avec son instrument, on a improvisé le concert du siècle. Et dans le monde entier, on a refait la chose pour une nouvelle tournée.
Tous les deux, ils se sont sauvés mutuellement de la cruelle indifférence du monde !!
· Il y a presque 3 ans ·Louve
... et eurent des enfants!
· Il y a presque 3 ans ·Christophe Hulé
C'est grâce à Berger, la brebis du pianiste.
· Il y a presque 3 ans ·Christophe Hulé
Je continue méthodiquement à relever vos inspirations... et moi je suis "la groupie du pianiste".
· Il y a presque 3 ans ·Laurent Cacciatore
Merci Mysteriousme!
· Il y a presque 3 ans ·Christophe Hulé
Donc, il vaut mieux écouter Gershwin au volant!
· Il y a presque 3 ans ·Christophe Hulé
Gershwin, ça swing, des deux mains sur le clavier.
· Il y a presque 3 ans ·Mozart, ça décolle et ça n’atterrit plus, ça vous laisse petit sur la touche.
A Mort Mozart ! Ah, c’est déjà fait, pardon. :o))
Hervé Lénervé
on plonge tout de suite dans l'ambiance, j'ai beaucoup apprécié :)
· Il y a presque 3 ans ·mysteriousme