le journal de PPD

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Le journal de PPD

 

25 janvier 1988. Il est 20H30. Le journal, présenté par PPD, vient de s'achever. Face aux publicités qui défilent à l'écran, je prends la mesure de mon isolement. A 17 heures précises, le monde s'est effondré et je suis la seule à le savoir. Certes j'ai déjà éprouvé le sentiment d'avoir raison contre la terre entière. Mais là c'est différent. Mille fois plus violent. Et ce n'est pas uniquement parce que je viens d'avoir 13 ans. 

Pendant toutes les informations, j'ai attendu en vain. J'étais pourtant persuadée que l'annonce de ce qui était arrivé ce jour là ne pouvait pas ne pas figurer dans les titres. Au lieu de ça, trois fois rien : une guerre au sommaire (dans un pays lointain), de la neige en hiver, et puis il pleut des trombes dans le sud de la France, il pleut comme vache qui pisse mais tout le monde s'en fout, ai-je envie de hurler d'impuissance face au poste. Pourtant je n'en fais rien : j'ai la colère rentrée et puis surtout la foi. PPD j'en suis sûre, finira bien par en parler. Lui et moi on se connaît. On se voit tous les soirs à la même heure. Il ne peut pas me faire ça.

Il ne peut pas me faire ça mais il en prend le chemin. Mitterrand bla bla bla. Chirac bla bla bla. 20h15 à ma montre et Monsieur n'en finit pas de taire à la France entière, tapie devant sa lucarne, l'évènement qui devrait pourtant la bouleverser. Au lieu de ça, il s'amuse à me torturer. Prend des pauses entre les sujets, dans lesquelles je m'engouffre : Supposons que PDD fasse l'impasse sur l'information qui vient de changer la face du monde. Devrais-je en déduire que ce fait n'a jamais existé? Je n'y crois pas au fond, mais cette idée me fait du bien. Alors je la caresse, un peu comme ces histoires qu'on se raconte le soir, juste pour se rassurer, avant de s'endormir.

Et puis soudain, le voilà qui commence : aujourd'hui, à 17 heures...

Mon sang se fige, si tant est qu'il le puisse encore. J'ai peur mais j'ai besoin qu'une fois de plus on me le répète. Et j'ai besoin que ça soit lui – lui que je crois tous les soirs à la même heure, même quand ce qu'il raconte dépasse l'entendement - qui me confirme l'incroyable. A 17 heures précises, a-t-il donc annoncé : le corps d'un homme sans vie (ça se passe à Paris) a été retrouvé dans la rue. Dans la télé on devine le cadavre sous une couverture. Pour moi c'est une claque de plus dans la rétine. Ce type n'a même pas de nom : PPD l'appelle SDF. Et moi je le déteste, je les déteste tous les deux en pensant que par leur faute personne ne saura l'essentiel.

C'est par quelques flocons que conclut ce journal. Car il allait neiger encore et continuer longtemps à pleuvoir sur Marseille. Moi je restai bouche bée, pareille à PPD durant son générique. A la rage de constater qu'il n'avait rien dit se mêlait une fierté imbécile : j'avais pris le présentateur vedette en flagrant délit de faute professionnelle. Car aussi incongru que cela puisse paraître, j'étais sincèrement convaincue que la mort de ma mère, constatée ce même 25 janvier à 17h précises, constituait l'évènement le plus important de la planète.

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