Le lendemain je suis ivre

ellis

Comme ce gars, tu sais, dans le Patient Anglais, qui disait ce truc que je comprenais pas : "Toutes les nuits, j’ai découpé mon cœur, mais au matin il était plein à nouveau."

J'ai souvent ce demi-rêve avant la nuit. J'imagine demain matin. Tout le monde a quitté la maison. Il ne reste plus que moi. Je suis prête à partir à mon tour. Je m'imagine parfumée, coiffée, j'imagine que je porterais une jolie blouse fine sous un gros gilet, et ce long manteau de laine vert bouteille qui m'enveloppe toute entière, j'imagine que mes cheveux seraient relevés, tu sais, dans un petit chignon genre coiffé-décoiffé, le truc que je me fais le matin quand je n'ai pas le temps. Je m'imagine très très bien. A vrai dire, je me ressemble parfaitement à 7h45 le matin, avant de quitter la maison. J'aime bien me donner une contenance avant ton entrée et je ne laisse rien au hasard.

J'ouvre la porte et tu es là. Je crois que je ne dis rien. Tu souris à peine, tu n'oses pas vraiment. Tu ne sais pas si je vais te gifler, ou même te fermer la porte au nez. Et moi, je sens mon cœur cogner jusque dans le bout de mes doigts, je crois que j'ai les larmes qui me nouent la gorge d'instinct. Je tends le bras et je pose la main sur ton visage, là, tu sais, contre ta joue. Tu penches un peu la tête en fermant les yeux et tu embrasses ma main.

Après tout se mélange, je te fais entrer, je te serre contre moi. Je ne sais plus. Tu me racontes que tu as attendu et que tu as dormi pas loin.

La suite change toujours un peu.

La dernière fois. Tu m'as juste serrée contre toi et tu as murmuré un « pars avec moi » qui a secoué tout mon corps.

Le rêve ne dit jamais si je dis oui.

 

Mais les rêves sont faits pour les nuits, là où rien n'est forcé d'avoir un sens. Petits miracles, prodigieux miracles sans conséquences.

Puis le jour repeint à l'acide leur visage d'amour et nous jette tout entiers dans le mouvement vertigineux du quotidien.


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