Le miroir de la vie

manaya

 Le bain est ce moment qui me fait revivre les souvenirs de l’état gestationnel car ma baignoire est si petite que j’y reste en position de fœtus.  Je suis restée longtemps dans le ventre de maman, j’avais trop peur de la mort pour naitre trop tôt, en naissant plus tard, je pensais prolonger ma vie et pouvais ainsi m’adonner aux plaisirs de ces réflexions solitaires, là dans le bain tout chaud que m’offrait généreusement ma douce mère. Puis un jour j’entendis celle-ci  vociférer :  «TU SORS OUI !!! TU NE VAS PAS RESTER LA JUSQU’ A LA FIN DE TES  JOURS !!! Alors, je suis sortie du bain que ne voulait plus m’offrir généreusement mon éloquente maman et j’ai crié, enfin protesté.

Ainsi avant même ma naissance, la mort m’obsédait. Pour moi, tout s’y rapportait comme si la mort était le miroir de la vie.

Quand mon fils Morgan, 2 ans, dans son bain chaud, finit par ressembler à son grand-père alcoolique tellement sa peau est rouge et ridée,  je lui demande calmement de sortir ; il est indispensable de parler aux enfants avec respect. Cependant,  il hurle.  Je lui réponds sereinement : « Mon fils, comme la vie, tout a une fin, le bain aussi, mais la vie est un éternel recommencement, tu reprendras un bain demain » et comme prévu ses cris cessent … le temps qu’il  reprenne  son souffle. Alors  ses oreilles propres tremblent au sens lui aussi propre à l’écoute de mon rugissement vraisemblablement inopiné : TU SORS OUI !!! TU NE VAS PAS RESTER LA JUSQU’ A LA FIN DE TES JOURS !!!

Ma fille Maureen, 8 ans, adore les nouilles chinoises. Les soirs de son repas favori, elle est si impatiente  de passer à table qu’elle refuse de se laver les mains. Il est inutile de menacer les enfants, il est plus efficace de leur proposer des options afin qu’ils se sentent responsables de leur choix.

« Qu’est-ce que tu choisis : te laver les mains et tu mangeras des nouilles toute ta vie ou que les nouilles te mangent quand tu seras dans la terre à cause des microbes ?!!!! »  

 Elle sort de table et revient  les mains parfumés de liquide savon vidé et me demande :

« - Qui est ce qui va mourir le premier papa ou toi ?

- Comme les kinders, ce sera la surprise ! A table ! »

Les Tartreau, un couple d’amis qui partageaient ce soir là le diner avec nous, et qui je suspecte, me trouvait aussi amer  que le repas servi, me dit qu’au sujet de la mort, ils avaient une très jolie phrase qu’ils partageaient avec leurs enfants lorsque le sujet du décès venait à surgir au sein de leur famille exemplaire:

« Les gens meurent lorsqu’ils ont fini leur vie ». A ces paroles, le couple se souriait l’un l’autre montrant,  à leur image, des dents parfaites.

Ce couple me faisait culpabiliser, primo de l’éducation que je ne donnais pas à mes enfants, deuxio des rendez-vous chez le dentiste que je ne prenais pas, tertio de les avoir invités.

Le lendemain, comme le déconseillent tous les bons parents qui se respectent, nous regardions la télévision pendant  le diner.  Les informations annonçaient le décès d’une célébrité dont j’ignorais l’existence.  Je fis remarquer à mes compagnons de table comme il était amusant que ce soit l’annonce de la mort de cette personne qui  l’ait rendu vivante  à mes yeux.  Ma fille rétorqua :

  « - Arrête tes phrases qu’il y a que toi que tu comprends !

Maureen, qui scrutait encore ses mains à la recherche de microbes, me demanda toutefois:

- Pourquoi il est mort ?

- Parce qu’il a fini sa vie ! »  J’étais fière, j’avais répondu au tac au tac, comme un chiffre d’une montre numérique qui change au moment pile où on la regarde. 

« - Et il avait envie de la finir sa vie ?

- Ben peut-être, je sais pas, je le connais pas », j’avais répondu cette fois-ci avec hésitation et  moins d’enthousiasme comme quand on regarde le tic et tac d’une montre analogique sur laquelle on suit avec ennui le parcours de la petite aiguille des secondes.

« - Et grand papé il avait envie de la finir sa vie ?

- Non grand papé il en avait peur de la mort, il l’appréhendait  et buvait  pour l’oublier.

- C’est nul la vie alors

- Les Tartreau ils sont nuls aussi ! »

Victor, mon mari qui parle une fois  par jour pour nous rappeler  son existence  et me faire son reproche quotidien en sirotant son énième verre de vin, choisit ce moment pour entrer en scène:

« - Arrêtes tu l’encourages à faire un déni d’initié de la vie ! »  

Et il s’est  arrêté sur cette phrase qu’il y a que lui qui comprend…

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