Le missionnaire

Olivier Memling

Dominique mon ami

tu étais l'héritier d'un général de cavalerie

d'Empire

tu m'as donné son sabre

et j'écris devant lui

et le fils d'un ingénieur très catholique

d'une sainte femme douce et qui fut belle

tu habitais place des Vosges

dans la brique rose

et les salons fanés

 

La pensionnaire américaine

de tes parents

coutelait ses poissons éclatants

d’écailles et de vert et  d’orange et d’argent

ses maquereaux violets

dans des herbes d’enfer

toi,  tu regardais sa peinture et tu fixais ses reins

 

mais tu avais ta chambre d'ascète

 

Nous avons ensemble préparé nos vies

et rêvé toutes les utopies

tu étais fort et fou

pétant de sperme et de sang

fidèle à la folie

de ton idéal d'abstinent

 

et quand tu es parti, quand

tu es parti médecin à la légion

où tu as vu brûler les villages

et les couilles dans la bouche

 

les mouches sur les enfants morts et défigurés

tu as remis ton monde en cause

mais tu as raté ton évasion

il t'a remis en prison

 

Un clochard un jour est venu me voir

les jésuites t'avaient pris

puis ils t'avaient abandonné

drogué de pénitence et d'orgueil

et le monde avait deux nords

ou trois peut‑être

et tu ne savais plus que la douleur des autres

 

Trop légère ou trop autoritaire

fut la main que je portais

sur tes blessures salées

Tu es reparti athlétiquement seul

soigner les mondes en souffrance

au bord du Congo ou des mers de Chine

dans les détritus et dans la faim

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