Le Monsieur magique

Camille Agard

Des aimants sortaient sans arrêt de sa bouche. Il pouvait captiver n’importe qui avec ça. S’il ne me posait pas de questions, je pourrais le contempler des heures en train de vivre et de parler.

J'ai rencontré un monsieur magique qui venait de tous les pays du monde et qui avait dans les cheveux un gressin mou. Il se fascinait pour l'univers des cacas-bites et des fesses-boudins. En toute disgrâce, il parvenait à déposer au creux d'une discussion commune, un zizi rose. Il savait parler des choses drôles avec un sérieux sans failles, et des choses sérieuses, avec un amusement qui prêtait à sourire.

J'ai plusieurs fois rencontré ce monsieur magique. Chaque fois, il portait ce même pull-gris-troué qui avait immédiatement accroché mon regard. Je n'ai jamais été tant intriguée et attirée par un vêtement si banal. Je pourrai assurément lire un roman entier sur le pull-gris-troué. J'ai imaginé que l'homme venait d'un autre espace-temps où le port du pull-gris-troué serait obligatoire, et qu'ainsi, il ne pouvait pas porter d'autres pulls.

Quoi qu'il en soit, l'apparence de ce monsieur s'effaçait rapidement de mon attention, -non pas que j'en fusse indifférente- mais parce que des aimants sortaient sans arrêt de sa bouche. Il pouvait captiver n'importe qui avec ça. S'il ne me posait pas de questions, je pourrais le contempler des heures en train de vivre et de parler.
Mais là, le temps de parole était humblement réparti entre nous, et nos phrases s'entrechoquaient rarement. Avec un tel fonctionnement, la discussion ne mourait jamais... Jusqu'à ce qu'une réalité qui m'était sortie de la tête, resurgisse, et qu'il faille manger/rentrer/dormir. Je haïssais cette réalité-là. Comment osait-elle interrompre un échange fortuné, qui avait commencé par le coucher de soleil d'un Paris flottant? Maintenant, elle plantait à nos pieds une nuit fatiguée, une lune grise morcelée, un nuage lourd et glacial.

Ça nous forçait à partir.

Les heures et les jours suivant chacune de ses rencontres, il me semblait que mon ventre réclamait de plus en plus sa présence. Comme un besoin naturel, j'avais faim, j'avais soif, j'avais sommeil. Je voulais posséder ce monsieur. Je voulais l'avoir captivé comme il m'avait captivé. Je l'aurais installé dans mon sac à dos, -sa taille n'aurait pas été un obstacle- et je l'aurais sorti chaque fois que mes pas rencontreraient l'incongru. Il aurait été là pour rigoler de ces chinois qui jouaient au badminton sur un passage clouté. Pour chanter Amsterdam dans le dos des cathédrales. Pour savourer les mêmes lignes d'Italo Calvino qui me faisaient frissonner.

Je ne sais toujours pas s'il était réel, ou bien si mon esprit l'avait crée de toutes pièces. Cependant, je doute que ma pensée soit vraiment capable d'engendrer un tel personnage.
Puissant.
Fou.
Petit.

Heureusement pour mon ventre capricieux, il m'arrive encore de croiser ce monsieur magique dans les rues de Paris. Souvent au Centre Pompidou. Souvent au coucher de soleil. Toujours dans un Paris flottant.

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