Le patio d'Annelise

Fabrice Lomon

Le jardin d’Anne Lise.

Dans le jardin d’Anne Lise, le lierre court sur le pavé, à peine si le soleil y a le droit de cité. Dans le jardin d’Anne Lise, vit dans le secret, caché, fuyant sous la feuille rosée, le lézard vert effrayé. Mais le bonheur n’est pour personne, Anne Lise s’est perdue dans les dédales ombragés. Il est de l’inconstante beauté dans ces feuillages désordonnés. Sous les verrières d’Anne Lise où la lumière peine à passer, le chèvrefeuille et l’orchidée s’étirent comme des femmes lascives. Dormez au vent, que dis-je, à la brise, au cœur des vierges d’Anne Lise, corolles des Lys semblables au fiel de ces roses noires, qui distillent l’Amour et la Mort. Sous le pied nu, la pierre chaude où le Liseron se faufile dans la crainte ou dans la douleur, selon que vous êtes ballerine ou tueur. Ne flânez pas dans cette bruine, dans ce cortège tropical, ce temple de verdure sur les ruines, dans ce grand concert de lianes où se froisse l’oiseau dont on cherche la trace. Anne Lise est en cette prison verte. Sa chevelure de jais cache ses yeux que le soleil ne saurait éblouir, car au jardin d’Anne Lise le temps passe mais n’a pas de prise. Qui pour le bonheur n’est pas doué, ou qui passe sa vie à chercher sa vie, devrait faire le détour. Au fond d’une rue, dans une cour, ouvrez la porte doucement. Ici, Paris n’est pas ce grand tumulte incessant. Comme le souffle d’un Dieu vieux et fatigué, au jardin vert, il est de mise, silence comme religieux. Seul homme et fier de l’être, aucune autre présence n’est admise, au jardin luxurieux. Là, sous la feuille de Mahonia, ayant clos comme deux fenêtres ses yeux, l’Iguane muet, crapuleux le complice d’Anne Lise. Je vais, parcourant les lieux d’un pas sage et précieux, tant s’insinue en moi la duveteuse Alchemilla.

Et j’arrive à la dérobée, dans les broussailles vertébrées, d’un parterre de Bonsaïs sans doute plus que centenaires.

Mais où donc se cache l’infante ? Jeune Indienne que je nomme, car à chaque fois je l’invente comme si j’étais un autre homme, pour que notre liaison ne se brise. Je suis une apparition surprenante, imprévisible dans la jungle d’Anne Lise. Si la belle, au sécateur, règle son compte à l’Astragale, j’attends que passe le sabre comme un diable d'entrechat. Puis, je vais, les mains tendues vers la Mandragore recluse, je lui parle de Paris comme d’une grande inconnue.

Quand la ville et ses lumières se croient éclairant le monde, Anne Lise sous sa verrière filtre la poussière qui tombe sur sa peau cuivrée et nue caressée par les fougères. Je regarde sa liquette s’étioler là sur la terre, mais la terre n’est pas visible tant, la verdure la conquiert. Et la chiffe fait comme une tache, car elle est d’ocre et de sienne. Puis, quand le voile épais du ciel couvre le jardin d’Anne Lise, dans le rayon blanc de la lune, elle s’allonge et s’endort sur les mousses odorantes et musquées. Elle s’endort près de son gardien zélé, bel Iguane, bête d’ailleurs, sous le halo, plus monstrueux et plus sauvage. Veille sur le temple de ma belle, et si l’importun se glisse, avec la fourche de ta gueule injecte-lui loin ton venin ; car le rôdeur non ne sait pas, que dans le jardin d’Anne Lise, quand l’astre est plein, on n’entre pas.

... Puis, je suis rentré chez moi en longeant la rue des Saules.

Dis-moi, connais-tu le fer des balcons anciens et cette taverne, Maison Rose, où je suis seul chaque soir ?

Avant de marcher vers d’autres, vers des chambres éclairées, des chambres mansardées ou des garçonnières.

Fin.

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