Le Petit Vinaigre.

  « Au Petit Vinaigre », bar à huîtres, l'on vient pour tartiner sur du pain du beurre demi-sel et pour accompagner de vin, quelques N°3.

« Comme d' hab, une douzaine et un pichet ? »

« Au Petit Vinaigre » il n'est plus nécessaire que nous commandions ; notre rituel du samedi vers 11H30, est une affaire entendue. Notre table est réservée et le cendrier toujours propre. On est comme qui dirait, devenus des habitués.

D'ordinaire, je ne supporte pas les habitudes, c'est un peu comme d'aller au pressing pour une même chemise afin de lui garder son air neuf pour toujours la remettre. J'aime quand les choses se finissent par elles-mêmes afin d'envisager une nouvelle couleur ou un nouveau tissu. Mais là, je dois reconnaître que la petite table qui donne sur le port, abritée de son parasol orange où l'on devine encore la marque d'un vieux citron, me satisfait autant qu'un pantalon où l'ourlet serait à reprendre :

« Pour le pressing c'est OK pour demain, mais pour la retouche, ça va pas faire avant mardi Monsieur ! »

« C'est pas grave, j'en ai un autre ! »

Betty dit que les gens pensent que je porte toujours les mêmes habits qu'hier. Je lui répond qu'ils sont un peu comme mon cœur et mon sexe, que je les entretiens, et que lorsque il me faudra envisager la pile ou le viagra, j'en changerai ! Mais tant que l'horloge tourne et que la vigne coule...

« Ah ouais ! Toi tu crois qu'on peut changer de couilles et de cœur comme ça ? »

« Ben toi, t'as bien changé tes nichons la dernière fois ! »

« Changer un cœur, c'est pas comme gonfler un pneu, c'est quand même changer l'esprit de quelqu'un ! T'auras le cœur d'un autre ! D'un truand ou d'un épicier ! Manquerait plus qu'ils te foutent celui d'une bichette, déjà que t'as celui d'un rabat-joie ! »

En général, c'est toujours Betty qui a le dernier verre. Le Muscadet appuie sur ses lèvres.

« Merci ! A la prochaine ! »