Le procès

Daniel Macaud

C’était un instant historique, unique dans l’histoire dans l’humanité. Le plus grand procès du monde commençait. L’inculpé : Gaïa, représentation humaine de la nature, de la Terre. Certains même, dans les médias, n’hésitaient pas à dire qu’il s’agissait de la représentation de Dieu, mais sur ce point, les débats étaient vifs, Gaïa était une femme.


Assise dans le boxe des accusés, Gaïa attendait sagement, le regard droit et doux. Elle ne semblait pas effrayée outre mesure, et regardait presque amusée le ballet étrange de ces humains en toge noire se rassembler, discuter à mi-voix, et s’asseoir finalement.


Dans la salle du tribunal, beaucoup de journalistes, attentifs, s’étaient assis et attendaient sagement. Le public, lui, était massé devant les télévisions du monde entier, attendant avec envie et angoisse l’issue du procès.


Gaïa, elle, souriait gentiment. Elle était belle. Magnifique jeune femme à la peau brune, un savant mélange de ce que l’humain pouvait avoir de plus beau au monde. Un léger côté androgyne aussi. Elle était apparu un beau matin, d’un coup, au milieu d’un champ de blé. Elle avait dit s’appeler Gaïa. Bien sûr, personne ne l’avait prise au sérieux mais, lorsque la forêt amazonienne se rebella en détruisant les véhicules d’acier qui arrachait les arbres, lorsque les fonds marins rejetèrent les centaines de milliers de bidons de déchets radioactifs, lorsque la terre s’ouvrit pour engloutir toutes les centrales nucléaires du monde et que ces catastrophes tuèrent deux milliards de personnes en seulement deux jours, on la pris au sérieux. Elle fut donc arrêtée, et une enquête à charge commença. Elle dura trois ans.


Aujourd’hui s’ouvrait son procès, pour crime contre l’humanité. Les télés du monde entier étaient braqués sur elle.


Le ballet des avocats et des procureurs commença. L’accusation fit fort, démontrant, avec force preuve, que Gaia avait tué des milliards d’humains, alors qu’elle était censé être une nature au service de l’homme. On l’accusa de protéger des animaux dangereux, de laisser proliférer des virus dangereux. Elle fut accusé de tuer encore, avec la prolifération des maladies, des sécheresses, des ouragans, de la raréfaction des ressources naturelles. L’humanité accusa Gaïa de tous ses malheurs, et tout cela dura trois semaines. Trois longues semaines d’accusations et de violence verbale. Gaïa fut montré comme un monstre envers l’humanité. Mais Gaïa, elle, ne répondit pas une seule fois aux accusations. Elle se contenta de sourire gentiment.


Enfin vint le temps de la défense. Gaïa avait des avocats, bien sûr, pour un procès équitable. Ceux-ci n’avaient qu’une seule ligne de défense: C’était la nature, elle ne le faisait pas exprès, elle n’avait pas l’intelligence démoniaque que lui prêtait l’accusation. Les avocats furent hués. Alors Gaïa se leva, et ce fut le silence dans la salle du tribunal.

Pour la première fois, dans les yeux de Gaïa, on lisait autre chose que de la bienveillance. On lisait de la tristesse. Elle parla d’une voix claire et douce, et dans toutes les langues simultanément.
- Vous ai-je fait un procès, quand vous avez détruit mes forêts ? Non. Vous ai-je fait un procès quand vous avez anéanti des centaines d’espèces animales, qui sont, je vous le rappelle, vos frères ? Non. Vous ai-je fait un procès, quand vous vous êtes entre-tués sans aucune retenue, dans des guerres fratricides sans aucune raison ? Non. Vous ai-je fait un procès, quand vous avez pollué mon air, mes terres, mes eaux, avec pour seule finalité, le gain “d’argent” ? Non, car tout ceci, était le mal que vous vous faisiez, et je ne pouvais que m'attrister sur le sort que vous vous réserviez vous-même. Je suis apparue, j’ai espéré ainsi que vous m’écouteriez enfin, mais non, vous me faites un procès. Auriez-vous fait un procès à votre mère parce qu’elle vous a puni pour avoir cassé un vase ? Auriez-vous fait un procès à votre père pour vous avoir privé de sortie parce que vous avez désobéi à un ordre ? Ce procès n’a aucune valeur, car je suis la nature créatrice, et la seule à décider. Alors je décide de vous punir, et vous n’avez rien à dire.

Gaïa se volatilisa instantanément aux yeux de tous. La justice humaine s’insurgea, prononçant des peines faramineuse à l’encontre de Gaïa, avec des milliards de dollars de dommage et intérêt, et une peine de prison de plusieurs centaines de siècles. Gaïa ne réapparut pas.

Alors la justice humaine durcit son jugement, prononçant sa culpabilité dans sa fuite, et exigeant sa reddition et des milliards de dollars d’amende, en vain.

Partout dans le monde, le climat se dérégla, l’eau manqua, les conflits éclatèrent, les morts tombèrent par milliers, millions, milliards.

Les derniers humains, réfugiés sur une petite île encore boisée, attendirent la fin, en vain. Gaïa semblait s’être calmée. Les humains survivants attendirent des années encore, en vain, que Gaïa reviennent leur expliquer. Finalement, ils recommencèrent à vivre, mais sur cette petite île, ils durent apprendre à faire attention aux ressources, et à leur population.

Partout ailleurs, la vie reprit ses droits, et la nature se développa. Quelque part au milieu de l’Afrique, un petit groupe d’animaux, sorte de félidés, un peu plus malins que les autres, commencèrent une difficile et formidable ascension vers l’intelligence...

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