le psychologue

Florence

Il allait s'assoir, en essayant de ne pas gêner le passage des touristes avec ses deux grandes jambes quand soudain une lanterne attira son attention.

                              

C'est pas logique quand on y pense, la force de la négativité, son poids, son statut de vérité absolue
Si on organisait un combat de boxe entre deux poids lourds, monsieur optimiste contre monsieur pessimiste, qui gagnerait selon vous ?. Monsieur optimiste n'aurait aucune chance, les supporters de monsieur négatifs étant bien trop nombreux et plus persuasifs.

Depuis quelque temps, éric sentait qu'il était sur la mauvaise pente. Etait ce l'âge ?

Il prenait de moins en moins de plaisir à vivre. Tout lui semblait pesant. D'un sommeil peu réparateur, il passait à un petit déjeuner sans entrain pour enfiler une journée de travail sans intérêt et finir par une séance de sport obligatoire. Cette activité physique seule lui maintennait la tête hors de l'eau. C'était le meilleur moment de la journée, celui où il se sentait vivant, réchauffé par sa propre sueur, sa circulation activée par un crawl à la piscine ou un footing un peu poussé.


Son regard sur autrui et sur lui même était alors plus indulgent, plus enclin à l'ouverture. Le bien- être perdurait jusqu'au repas du soir, pris en famille, puis l'ennui, hélas, revenait, que ce soit devant la télé ou devant un bon bouquin, avec son cortège de sentimens confus, insatisfaction, mauvaise humeur, angoisse diffuse.

A quel moment était il devenu si sérieux ?


Sa vie lui avait convenu jusqu'à présent. Il ne comprenait pas cette perte de sens, cette perte de vitalité. Il avait choisi son métier, il avait aimé sa femme, voulu ses enfants, pourquoi cela ne lui suffisait il plus ?

Etait il dépressif ?

Un jour que la lourdeur était plus présente, plus gênante encore qu'à l'ordinaire, lui gâchant même le plaisir qu'il éprouvait après une séance de squatch, il s'en ouvrit à un de ses amis

Celui ci, ancien tennisman professionnel, mental de sportif, adepte de la méditation zen, l'écouta avec toute l'attention qu'apporte une amitié sincère et durable.

«  tu as raison de te préoccupper de cet état et de ne pas le laisser s'installer et te gâcher la vie ». C'est la crise de la quarantaine, enfin de la cinquantaine pour toi, dit il avec un sourire encourageant


« j'ai été voir un psy après ma rupture avec stéphanie, t'aurais vu tout ce que j'ai sorti, toutes ces petites fractures de l'enfance, qui ne demandaient qu'a être plâtrées. Je me suis senti tellement libéré après.... Tu sais ce que dit ma prof de zen ? La dépression est une illusion comme une autre. Le mental par essence est une rivière transparente qui s'écoule sans obstacles. »


Eric, fatigué , laissa cette petite phrase faire son chemin dans sa tête. Il aimerait tellement être une rivière . Sans entrain il prit les coordonnées du psychologue et promit a son vieux copain qu'il s'en occupperait.

Comme tous les hommes, il renaclait à l'idée de reconnaître ses faiblesses ou de demander de l'aide.


Parrallèllement il avait toujours été homme d'action, plus enclin à prendre le taureau par les cornes qu'a faire la politique de l'autruche. Quand il avait un rhume, il se soignait, il n'avait qu'à faire pareil et prendre rendez vous.

Le vendredi fatidique arriva. Il était très en avance, la ponctualité étant chez lui une qualité première.

Il repéra rapidement le cabinet d'un certain docteur guizzi, psychologue clinicien,qui donnait sur une grande place claire. Sa journée de travail n'avait été ni bonne ni mauvaise, Il se sentait un peu tendu et grognon, pensant vaguement à une perte de temps et d'argent. Il s'accorda une demi heure de battement dans les traboules de lyon. Une bière peut être, ça faisait longtemps qu'il ne s'était pas assis à une terrasse.

Il emprunta des petites rues au hasard, qui le menèrent à un minuscule bistrot serré entre deux murs et généreusement pourvu d'une table et de deux chaises. L'intérieur était plein , des habitués, préférant la fraicheur à la canicule.

Il allait s'assoir, en essayant de ne pas gêner le passage des touristes avec ses deux grandes jambes quand soudain une lanterne attira son attention. Celle ci, allumée en plein jour, éclairait une traboule assez courte, une impasse, menait à une boutique artisanale et ancienne « au chalant nonchalant »

« Un piège à touristes » pensa t'il, qui n'existait pas à l'époque de ses études de droit.

Intrigué par le titre évocateur, notre quinquagénaire se leva et s'approcha de la boutique pour en lire l'adage gravé sur du bois .

« ô passager clandestin, soucieux de ton sort, assume les soubresauts de ton cœur, saute dans le temps et rejoins nous à bord ! »

Eric passa la porte, poussé par un étrange sentiment de curiosité. La curiosité c'était bon. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas ressenti cela, cette avidité, cette ouverture, ce chatouillement intime . Un léger frisson d'inquiétude le parcourut  car on n'y voyait goutte.


A peine entré, son front heurta des objets mous pendus au plafond. Le temps que ses yeux s'accomodent, il commença a discerner des visages et des bouches peintes...des marionnettes.

La boutique voutée comme une cave sentait la menthe séchée, le citron confit , la canelle et la figue. On se serait cru en provence.


Deux enfants au fond se disputaient pour savoir ce qu'ils achèteraient avec la pièce que leur avait donné leur mère. L'un voulait des billes et l'autre des caramels. Le marchand, avec son chapeau de carnaval prenait grand plaisir à attiser leur chamaillerie, vantant tour à tour les avantages du bigaro sur la confiserie et vice versa

Eric qui assistait à la sçène de loin se sentait comme rajeuni et transporté dans une autre époque résistant à grand peine à l'envie de se méler à la conversation. Le dilemme était de taille même pour lui. Bien sûr la bille était le bon choix , le choix raisonnable, car ils pourraient y jouer longtemps après leur achat, c'était un bon investissement alors que le caramel leur apporterait un plaisir coupable, un plaisir énorme, mais si vite consommé, si vite oublié !

Eric eut soudain une envie irrésistible, insoutenable, douloureuse même de manger un caramel !

« choisis le caramel « s'écria a t'il en oubliant toute retenue et en séparant l'espace entre les enfants et lui . Un rai de lumière particulé l'aveugla, un vol de pigeons affollé lui fit tourner la tête

quand ses yeux s'accomodèrent à nouveau les enfants s'étaient volatilisés, ainsi que le vendeur et sa boutique.


Ou était il ? Ses yeux parcoururent lentement les murs de vieille pierre enserrés par d'épais troncs de glycine, le sol mozaiqué, le ciel au de ssus de sa tête. Une petite cour intérieure, un patio, probablement a l'arrière du magasin qui était maintennant fermé. Comment sortir  ? Quelle heure pouvait il être ? Avait il manqué son rendez vous ?Le crépuscule étalant sa lumière orangée lui apporta sa réponse.

N'était ce pas drôle de devoir faire le mur à 50 ans, de faire l'école buissonière ? Il prit un plaisir enfantin à cette escalade improvisée et les touristes sursautèrent lorsqu'il retomba de l'autre côté du mur dans une rue passante, son costume blanchi par les gravats. Bizarrement, il ne s'était jamais senti aussi bien de toute sa vie.


L'avait on dépouillé ? Avait il été drogué ?

Quelle était cette allégresse dans son cœur, cette danse ?cet élan, cette musique celeste ?

Que lui importait, ill se sentait vivant, et jeune, si jeune !

Quand il rentra chez lui il prit du bonheur à plaisanter avec ses enfants, s'improvisa chef cuisinier en imposant à sa femme de poser ses jolies fesses sur son canapé lui promettant qu'il s'occupperait d'elle après ce qui provoqua des huées dans l'assistance et fit rougir madame . Ce soir là il fit l'amour comme un tigre, ronfla comme un ours et se réveilla en pleine forme le lendemain

Il avait envie...tiens, de faire du théatre. C'était une bonne idée le théatre non ?

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