Le p’tit nettoyeur d’âme

Clara Crochemore

Le ptit gars s'assit par terre. Il avait enlevé sa casquette et s'était allumé une clope, las.

Y'avait plus personne à l'intérieur, plus d'âme, plus rien.

Tout était vide, il restait plus que les parois. Un comble pour un nettoyeur d'âme… Mais il l'avait déjà remarqué, ça, Denis, il savait que le chômage pointait le bout de son nez. Y ‘avait de moins en moins d'âmes, donc de moins en moins de boulot. Lui, il s'occupait juste de l'entretien. Pas d'âme, pas de travail. C'était aussi simple que ça…

Les gens étaient déjà tous creux à l'intérieur. Plus de rage à balayer, plus de drame à lessiver, plus d'orgueil à savonner. La société leur volait tout leur travail, à Denis et aux autres, elle se chargeait de tout nettoyer elle-même.

Denis se souvenait pourtant, il en avait, du métier. Il en avait soigné des âmes malades. Des âmes moisies, qui sentaient le refermé parce que leurs propriétaires ne les laissaient pas s'exprimer. Ils les reléguaient dans un coin, en leur disant « plus tard… là, tu peux pas » et elles pourrissaient irrémédiablement. Pire que les poumons d'un fumeur ces choses-là… pas beau à voir. Il en avait des frissons.

Et du sale boulot, ça, il en avait vu Denis. Des âmes toutes belles, encore vibrantes, qu'on avait pourtant décollées. Et une fois retirées, c'est trop tard, impossible de les remplacer. Les dons d'âme ne se font pas encore, la greffe prend mal. Mais c'est comme ça… Y a certains métiers où les bons sentiments, ça sert à rien. Question d'ambition il parait.

Entre ceux-là et ceux qui vendent leur âme au Diable… Les gens se rendent pas compte… C'est précieux, une âme. C'est précieux mais ça vaut pas grand-chose. C'est mauvais pour le troc.

Désabusé, Denis jeta sa cigarette par terre et se leva, lentement. La journée n'était pas encore finie. La prochaine commande c'était pour un gosse. Il les aime bien, Denis, les âmes des gosses. Elles sont toutes chaudes et pleines de bonnes ondes.

Celui-là devenait adulte, alors y avait des ptites rectifications à faire. De la désillusion s'était fixée sur le contour, et la responsabilité s'enfonçait un peu loin. Malheureusement, il pourrait pas tout enlever Denis. Il est doué pourtant dans ce qu'il fait, mais on peut jamais enlever complètement ces traces-là ; c'est comme des tâches, ça s'accroche.


Photo de Bob Jagendorf : http://bit.ly/1ubUI2b



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