Le roi de la saucisse
chevalduvent
Si je m’envois Marie-Jeanne avec la page trente-neuf des contes de la folie ordinaire, c’est pas pour déconner. Primo, j’ai plus de papier à rouler et secundo, fumer de la littérature - sûr que Buk’ comprendrait – c’est ma façon de tirer un trait. Je m’explique. Le jour où tu décides de niquer des arbres pour consigner tes états d’âmes avec des mots, où tu passes des heures à te presser l’esprit pour un liquide visqueux que tu devras filtrer sans relâche avant de le proposer en apéritif, à t’isoler jusqu’à te demander si ta solitude elle-même s’est pas tirée, à y penser même quand tu pisses, le jour où tu vois plus que les choses sous cette lunette là, à en perdre toute notion de temps, de réalité et ta femme avec, ce jour-là, tu te mets à chercher quelqu’un qui validera ton sacrifice, quelqu’un qui croira assez en toi pour fabriquer les pots de confiture en série, quelqu’un d’essentiel, le messie, l’éditeur.
Rien de tel qu’un raisonnement binaire pour comprendre la galère qui boit le bébé auteur : tu plais ou tu plais pas. La seconde hypothèse t’envoie un courrier qui t’évoque ce deux sur dix que la prof’ de français t’a collé quinze ans plus tôt, au stylo rouge vif. La claque. Moi j’ai pris l’habitude d’essuyer chaque refus à la javel, histoire de bien décaper l’amertume. Cinquante-neuf. Autant de coups de poignards, un vrai bain de sang. Faut être maso. Mais c’est pas le sujet.
Tout a commencé par un pain saucisse. Ca faisait douze heures que j’avais pas becqueté et la fumette, un vice qui me colle, ça donne faim. Je me suis pointé chez Saus’King, littéralement roi de la saucisse – un euphémisme vu la taille du machin – et j’ai commandé la kingsize, en prévision des dix prochaines heures de jeûne. Saus’king est planté entre une église et un vieil immeuble bleu pâle délabré qui suinte de crasse. En sortant j’ai insulté ce volatile stupide pour avoir confondu mon pied droit avec une cuvette de WC, avant de constater en fait qu’une coulée de mayo avait transpiré de mon casse-croûte. Bizarrement, y avait une odeur différente qui planait sur la place du Vieux. Il manquait ce parfum suret qu’exhalaient d’usage les ruines du bâtiment bleu. C’est là que je l’ai vue. Neuf jours sans saucisse et le sevrage avait transformé le schtroumpf insalubre en une maison d’édition. Dans mon quartier. Sur le moment, un mélange d’effarement et d’adrénaline a coulé dans mon sang. J’ai pris quelques infos qui trainaient sur la porte : une maison destinée à faire émerger les nouveaux talents, les jeunes auteurs et tout le blabla, ça je connaissais. Par contre, la ligne éditoriale semblait me sourire ; elle privilégiait les auteurs de nouvelles qui dressent le profil de personnages abîmés, quelque chose dans le genre. Ca collait. J’ai englouti mon en-cas comme si une meute d’affamés me scrutait la bave aux lèvres et je me suis tiré. Fallait que je réfléchisse.
Je faisais les cent pas, je relisais mes derniers écrits. Puis je me suis décidé. La méthode classique m’avait tué une cinquantaine de fois ; « je vous annonce avec regret que votre manuscrit n’a pas été retenu pour la publication ... ». Aucun risque donc, j’étais déjà mort.
Je voulais la jouer fine. J’ai guetté les lieux pendant trente-cinq minutes. Je m’y suis pointé vers dix-neuf heures trente heure de fermeture. Pour le rencontrer. Lui le boss, le directeur artistique, l’éditeur, responsable de mon Salut. J’étais pas sûr de ce j’allais faire mais j’avais décidé d’y aller au culot, sans vraiment me reconnaître.
Un bruit de porte, plaintif. Puis une femme. Ses cheveux donnaient la réplique à une légère brise qui les effleurait. Elle portait une jupe qui violait la confidentialité de ses formes. Des artifices l’habillaient davantage que son chemisier qui donnait de l’air à la cime de sa poitrine. Elle tenait une pile de dossier qu’elle serrait contre elle. Bingo.
Sans réfléchir, j’ai quitté ma planque. Puis le coup classique : ses dossiers ont valsé sur le sol tandis que je faisais l’innocent en feignant l’incident. Un moment elle a eu ce regard des femmes importantes qui liquéfie le commun des mortels. Mais y a au moins une chose qu’on peut m’accorder : je suis pas le dernier quand il s’agit de flatter les donzelles. Et ça marche. Elle a récupéré ses dossiers, gonflé la poitrine, s’est dégagé le visage de quelques mèches comme dans la pub pour le shampoing et on s’est échangé les numéros de téléphone. Re-bingo.
Une vraie machine. Je pensais même reprendre le sport. Je l’ai culbutée pendant huit jours non-stop, le midi, le soir après son boulot et aussi pendant les pauses. D’abord parce prendre son pied c’est pas de refus et surtout, j’avais la ferme intention de lui causer de mon dernier manuscrit. J’ai donc ressorti la mastercard, planquée pour les cas d’urgence. Je l’ai emmenée chez Pasta mia, vingt heures, place du Vieux. J’ai terminé l’Osso Bucco et entrepris de lui glisser quelques mots sur les modalités pratiques de notre future collaboration, du tout cuit pour ma part, je le sentais bien. J’allais commencer quand son visage a viré plus blanc que la nappe qu’elle a fait chavirer en même temps que son escalope milanaise, juste après s’être exclamée : « Merde ! Mon mec ! ». Un gars en costard avec un groupe de gars, en costard. Dîner-boulot sans doute. Elle s’est tirée en douce. Partie remise.
Le lendemain, je suis allé m’envoyer un middlesize chez Saus’king, pour pas rompre avec les habitudes, mais j’avais pas une dalle d’enfer. J’ai jeté la moitié de ma pitance avant d’aller m’acheter des Gauloises chez Pipo. En sortant, je me suis cramé la lèvre en essayant d’allumer une clope, démoli par ce que j’avais sous les yeux : la machine à baiser brossait le trottoir de la maison d’édition dans son bleu de travail. Une technicienne de surface. Putain de galère. Je me suis planté.
Du coup, si je m’envois Marie-Jeanne avec la page trente-neuf des contes de la folie ordinaire c’est que fumer de la littérature, c’est ma façon de tirer un trait. Pour combien de temps ?
J'aime bien, moi. Le ton, l'histoire, ça marche. Pourquoi y'a qu'un demi coeur dans le coinstot à droite, le bidule est détraqué ?
· Il y a presque 13 ans ·le-fox