REPONSE A UN COMMERCANT SE CROYANT EDITEUR

franek

                        REPONSE A UN COMMERCANT SE CROYANT EDITEUR

                            Monsieur,

                                                           Le poète, s’il est exceptionnellement un trésor de richesse du cœur, un émir, un prince où, de son désert brûlant de fièvre créatrice, s’écoule l’or rouge de ses sentiments, ou plus rarement encore un percepteur de l’émotion, le poète donc, est par tradition, nature, non pas par mythologie, un être famélique, détaché des biens matériels de ce monde, lié ou même enchaîné au poteau de l’infortune. Par jeu, par amour, par passion, haine ou même parfois veulerie, bassesse ou perfidie, le poète peut faire vibrer les mots les plus noirs, leurs fournir une résonnance, une raison, mais jamais il ne pourra donner un souffle d’âme aux expressions ‘’pertes et profits’’, ‘’rentabilité’’, ‘’finances’’ prises dans leurs sens banal et concret.

                                   Ayant la tête pleine et les bourses plates, je ne peux décemment aller à la foire littéraire coûteuse si chère à Monsieur André Thérive, je me rendrai donc pieds et mains liés par des arabesques d’espérances à la foire aux puces ‘’où les chefs-d’œuvre  méconnus se cachent modestement sous la poussière et la crasse’’. Là, au seuil de la bêtise qui pollue l’esprit des voix, en raclant mes poches, mes fonds de tiroir, sous mes ongles endeuillés d’encre, je trouverai peut-être, par hasard, une piécette oubliée par un mécène inconnu, qui me permettra d’acquérir une miette d’espoir. Mais celui-ci étant une denrée rare, si onéreuse à présent, que cela ne suffira pas  et pourrai-je seulement m’en payer un atome invisible à l’œil nu ? Il n’y a que la voix qui sauve !!!

                                   Les poètes sont des rêveurs et s’ils n’entrainent pas leurs lecteurs  dans leurs délires, comment peut-on s’imaginer qu’ils puissent encore batifoler dans les prés de Saint-Germain. Le métier d’éditeur est, avant tout ; de croire aux auteurs et non pas de considérer ceux-ci comme une marchandise, un bien capitalisable, une spéculation littéraire sans risque. Si l’auteur s’investit dans son œuvre, l’éditeur doit lui, investir dans les auteurs  en y mettant ses propres rêves et ses espoirs, sa foi et aussi hélas son argent. Chacun participe, à proportion de ses moyens. Son rôle, tâche noble quand elle est soutenue par la confiance en son poulain, ne doit pas être dévoyée en exploitant papivore d’un nègre d’une personnalité stérile mais célèbre !!!

                                   Que dirait-on d’un entraineur de chevaux annonçant à un pronostiqueur qu’il ne croit pas aux chances de son haridelle ? Cela ne fait pas sérieux, il nie lui-même son travail et perd tout le crédit d’un succès précédent. Sa joie, sa fierté, en dehors du gain de la victoire, c’est surtout de découvrir le champion, de l’encourager, de l’amener au succès, même s’il doit pour cela, prenant ses responsabilités, en passer bon nombre à la boucherie. Mais si par malheur pour lui, le canasson éliminé devient un crack, on peut dire de cet entraineur qu’il n’est pas digne de la confiance mise en lui.

                                   Si j’accepte de jouer aux petits chevaux et éventuellement de finir à l’étal du boucher en place de la devanture du libraire, je souhaite que l’entraineur donne son jugement plutôt que de me réclamer de l’avoine.

                                   Ignorant la valeur de l’argent car n’en possédant pas, les poètes, les vrais, pas des commerçants de sensiblerie, des boutiquiers de la larme de crocodile ou les fabricants de papier mâché, prédigéré, en demandent d’ailleurs très peu, non par mépris des bienfaits du dieu papier-monnaie, mais par amour du papier imprimé ailleurs que sur les presses de l’hôtel de la médaille. Les poètes ont la fâcheuse habitude de faire la manche, pas les manchettes mais lorsqu’ils tendent la main, ce n’est pas pour une aumône sonnante et trébuchante, non, ils préfèrent y accueillir une autre main.

                                   Si je suis un tout petit peu poète, je le dois certainement au côté misérable de ma situation et je n’ai pas les moyens financiers de rendre gorge comme le pélican pour nourrir les vitrines des mercures du papier, ni les catalogues des imprimeurs pressés, à compte d’auteurs, quelque soient les conditions, même les plus avantageuses que l’on puisse proposer. Mais, faites le calcul, oh miracle en cas de réussite (environ trente milles exemplaires) et les gains de chaque partie à ce stade…sans investir, sans aucun risque le financier sera le bénéficiaire. Les poètes sont fous mais pas idiots !!!

                                   Je regrette mais ne m’excuse pas d’avoir cruellement emprunté votre temps, donc pour vous de l’argent, sans votre consentement, pourtant j’espère, au moins vous avoir payé les agios par l’intérêt que vous a procuré ma réponse.

                                               Avec mes salutations distinguées, des basses flatteries.

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