Le roi et les histoires

Cecile Parmentier

Il était une fois un roi qui avait interdit à son royaume toute distraction : les livres, les bals, les jeux, tout ce qui ne faisait pas gagner d’argent. C’était un homme riche qui voulait toujours accroître sa fortune et qui demandait à ses sujets de travailler toujours plus pour arriver à ses fins.

Même son jeune fils le prince Alban était obligé de travailler pour satisfaire les exigences de son père. C’était lui qui allait chercher les taxes, les impôts et les récoltes chez les villageois. Son père voulait lui apprendre à mener un royaume pour qu’il puisse continuer à s’enrichir après sa mort. Le jeune prince n’avait que 10 ans, mais il était devenu aussi autoritaire, injuste et violent que son père et travaillait aussi dur qu’un adulte.

Sa mère, une douce et charmante femme, qui vivait sous la domination de son mari, commençait à s’inquiéter. En effet, elle ne voulait pas que Alban devienne un roi aussi détestable que son père car il finirait sa vie tout seul et triste sans femme ni enfant. Elle voulait que son fils trouve une belle fiancée un jour et ait des enfants à son tour. Elle décida de trouver conseil auprès de sa femme de chambre, une femme robuste et très chaleureuse, qui avait 3 garçons et 2 filles, tous adorables et joyeux.

« Valentine, comment as-tu fait pour que tes enfants restent si heureux et gentils malgré tout le travail qui leur ait demandé ? Mon fils, le futur roi m’inquiète beaucoup, il est devenu aussi autoritaire que son père. Ce matin, il a demandé qu’on enferme le boulanger parce qu’il n’avait pas réussi à fabriquer la quantité de pain qui lui avait été demandée dans la journée, se plaignit la reine.

- Ma reine, même si notre roi nous a interdit de nous distraire, il ne peut pas nous interdire de rêver, dit la bonne, amusée. 

- Comment peut-on faire pour rêver dans ces conditions ? Il y a si longtemps que cela ne m’est pas arrivé, répondit-elle, surprise.

- Les histoires ! Vous souvenez-vous des contes et légendes qu’on vous racontait lorsque vous étiez enfant ? C’est le côté magique des histoires qui fait rêver, répondit la servante avec un grand sourire.

- Il me semble bien qu’on me racontait des histoires quand j’étais petite mais le roi ne voudra jamais que je raconte des histoires à son fils. Même le prince affirmera que c’est une perte de temps ! 

- Il ne faudra surtout rien leurs dire ou ils nous interdiront cela également. Ne vous inquiétez pas, j’ai une idée, il faudra seulement que vous me donniez le parcours du prince tous les jours. 

- Je pourrais te donner l’emploi du temps en fin de journée, mais pourras-tu t’organiser assez vite ? 

- Bien entendu, ne vous inquiétez de rien, ma reine. »

Et le soir même, la reine glissa dans le panier de sa servante un petit billet contenant le parcours qu’allait suivre le prince Alban le lendemain.

Le lendemain, le prince se dirigeait vers une ferme isolée lorsqu’il passa devant un groupe d’enfants assis en rond avec une vieille femme qui les regardait tendrement en leur parlant.

Intrigué, il s’approcha doucement pour entendre ce que la vieille femme racontait. Les enfants n’avaient pas entendu arrivé le jeune prince, ils étaient tous attentifs aux moindres paroles que prononçait la vieille nourrice.

Et oui, la vieille femme qui était avant la maîtresse d’école avait dû abandonner son métier, les livres étant interdits. De plus, le roi pensait que l’école était une perte de temps, que les enfants devaient apprendre un métier tout de suite après avoir appris à marcher, à parler et à se débrouiller tout seul. Il avait fixé la limite d’âge à 6 ans, ensuite tout le monde au travail. Mais, il fallait bien garder les enfants qui restaient tous seuls toute la journée, la vieille dame qui ne pouvait plus trouver de travail décida alors de devenir nourrice pour les jeunes enfants. Le jeune prince connaissait son existence mais ne l’avait jamais rencontré.

Il resta quelques instants à l’écouter raconter une histoire aux enfants et s’en alla en pensant qu’il était idiot de rester à ne rien faire que d’écouter et de parler. Le soir venu, la reine demanda à son fils s’il avait vu quelque chose de spécial aujourd’hui, mais le jeune Prince ne répondit pas. La servante, qui savait que le prince avait rencontré la nourrice, fit un clin d’œil à la reine qui lui glissait au même instant l’itinéraire du jour suivant.

Le lendemain, au détour d’un bois, le prince rencontra de nouveau les enfants et la vieille dame. La nourrice avait changé d’histoire. Toujours intrigué, le prince resta un peu plus longtemps pour écouter la fin de l’histoire. Et le soir, il ne répondit toujours rien à sa mère qui l’avait questionné.

Et il en fut ainsi tous les jours pendant un mois, le jeune prince rencontrait la nourrice et l’écoutait conter, sans rien dire le soir à ses parents, honteux de désobéir à son père et de lui mentir. La reine était heureuse, le comportement de son fils changeait tous les jours. Ainsi, un matin, il épargna un paysan qui ne pouvait pas payer une taxe. La reine ayant été mise au courant de ce qui s’était passé, demanda une nouvelle fois à Alban s’il s’était passé quelque de spécial aujourd’hui. Il se décida alors à lui parler du paysan et soulagea sa conscience en lui parlant également de la vieille nourrice. Il expliqua à sa mère que depuis qu’il écoutait la nourrice, il rêvait de toutes les bonnes choses qui pourraient lui arriver et ainsi il n’avait pas voulu punir le paysan pour qu’à lui aussi il lui arrive quelque chose de bien.

Pendant plusieurs semaines, le jeune prince continuait ainsi à faire son travail et à écouter la nourrice tous les jours. Son travail commençait à être moins bon. Ayant été mis au courant des résultats médiocre de son fils par un de ses espions, le roi le fit suivre. De cette manière, il fut averti que le prince perdait du temps à entendre des histoires et était beaucoup moins sévère avec le royaume.

Le méchant roi, fou de colère, exigea qu’on enferme la vieille nourrice dans le donjon du château. La reine, le jeune prince ainsi que tout le royaume en furent très triste. Mais plus encore, plus personne ne rêvait, avec la nourrice c’était tous les contes qui avaient été enfermés dans le donjon. Les villageois et le prince avaient perdu toute leur joie et toutes leurs forces. Plus personne n’avait le courage de travailler. Le roi, furieux, enfermait les uns après les autres tous ses sujets.

La reine décida que s’était trop, elle ne pouvait pas supporter de laisser son fils perdre sa joie de vivre sans réagir. Le soir venu, quand tout le monde fut couché, elle se glissa dans la plus haute tour qui servait de donjon et ouvrit la porte pour libérer la nourrice. La vieille dame et elle se dirigèrent vers la chambre du jeune prince le réveillèrent doucement et l’amenèrent dans la chambre du roi.

Il se produisit alors une chose extraordinaire, le roi, en se réveillant, s’aperçut que la vieille dame qui était devenu très vieille, pendant son emprisonnement, paraissait rajeunir petit à petit. La reine, de toute sa hauteur, lui dit ainsi :

-« Cher ami, ne voyez-vous pas que vous êtes en train de perdre votre fils, votre royaume et votre argent. Les gens ont besoin de rêver pour vivre et vous leur avez enlevé le meilleur moyen de rêver en enfermant la nourrice. On ne vous a donc jamais raconté de contes quand vous étiez enfant ?

- Non, les histoires sont une perte de temps et mes parents n’en avaient pas à gaspiller. Elles sont inutiles et je vous ferais enfermer si vous continuez de la sorte. »

Le jeune prince qui, jusqu’à présent n’avait rien dit, sortit de l’ombre. Il était tout pâle et maigre, dans un murmure il dit à son père que lui voulait pouvoir rêver et ne voulait plus devenir roi dans un royaume où tous les habitants sont tristes. Il s’approcha de la nourrice, qui avait retrouvé sa jeunesse, lui teint la main et lui demanda une histoire.

La dame, avec un grand sourire, se dirigea vers un fauteuil proche et tendit la main vers l’enfant qui courut se mettre sur ses genoux. Le roi se redressa sur son lit les bras croisés et le regard sombre, la reine le menaçant du doigt. La nourrice commença alors le récit du petit garçon qui rêvait tous les jours que ses parents l’aiment. Le roi se souvint alors que le petit garçon en question c’était lui. Furieux mais curieux de savoir comment la dame pouvait être au courant il l’écouta jusqu’au bout. A la fin de l’histoire, il se rendit alors compte que la nourrice était en fait son ancienne nourrice.

Il se produisit ce jour-là une chose merveilleuse, le roi rêva. En effet, trop triste de ne pas voir ses rêves se réaliser, le roi avait cessé trop jeune de rêver.

A partir de ce jour, le roi ordonna à ses sujets de raconter des contes, des histoires pour rêver, pour apprendre, pour être heureux, pour rire parce qu’il n’y a rien de tel qu’une bonne histoire pour montrer à quel point on aime les enfants.

Quant au jeune prince Alban, il redevint un jeune garçon comme les autres, heureux de vivre. Sa vie ne fut que bonheur et lorsqu’il eut des enfants à son tour, il ne manqua jamais une occasion de leurs raconter des histoires.

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