Le royaume et la soupape.

darklulu


Il était une fois un royaume.

Ce n’était pas le plus grand ni le plus puissant des royaumes, mais le poids de son histoire lui donnait un grand prestige.

Dans les livres d’histoire, on disait que c’était dans ce royaume que le peuple s’était débarrassé de ses tyrans, des hommes cruels et sans scrupule, dont la principale préoccupation était d’affamer les gens pour mieux s’enrichir.

Lassé, le peuple trancha la tête du roi, et mit au pouvoir un homme qu’il avait soi-disant choisi.

Cela ne marcha pas du premier coup, et il y eut d’autres rois et un ou deux empereurs de passage pour revendiquer le droit de gouverner. Mais, à force de persévérance et de têtes tranchées, le bon peuple fini par avoir ce qu’il voulait. Un truc qui s’appelait démocratie.

Cela consistait à demander régulièrement au peuple de décider de qui il voulait à sa tête. Dans le principe, c’est assez simple.

Mais cela s’est avéré être un vrai cauchemar en mettre pratique. La nature humaine étant ce qu’elle est, et comme personne ne faisait confiance à personne, il fallait une commission pour contrôler tel organisme, une assemblée pour contrôler la commission, un sénat pour contrôler l’assemblée, un gouvernement pour contrôler le sénat, un premier ministre pour contrôler le gouvernement, un président pour contrôler le premier ministre, et tout ce qui vient d’être cité pour contrôler le président.

Ce qui faisait qu’à force que tout le monde contrôle tout le monde, et bien tout le monde était bien loin des préoccupations de monsieur tout-le-monde, qui lui ne contrôlait rien ni personne.

Toutefois les bons et sages dirigeants se souvenaient des leçons du passé. Le peuple était comme un ruisseau. Lent, tranquille, et facilement prévisible. Mais quand il se mettait subitement à gronder, il devenait vif, omniprésent et difficilement contrôlable.

S’ils ne voulaient pas finir la tête tranchée, les gouvernants, totalement dédié à satisfaire les besoins du peuple qui l’avait élu, quitte à faire à passer leur propre bien-être et celui de leur famille après, réagissaient prestement quand la gronde se faisait entendre.

On début, on envoyait la police et l’armée. Mais on s’aperçut que cela ne solutionnait pas le problème, mais ne faisait que le renvoyer à une échéance ultérieure. On s’avisa donc que, peut-être, et encore de manière hypothétique, le peuple avait raison de gronder. Après tout, c’est lui qui est censé gouverner. Pour la tranquillité du royaume, et surtout parce qu’il reste encore une ou deux guillotines en état de marche, il serait peut-être bon de l’entendre. L’écouter, on verrait plus tard, chaque chose en son temps.

Et puis, c’est difficile d’écouter quand on esquive des pavés pendant qu’on jette des grenades lacrymogènes.

On affirma donc que cette fois on avait compris, on changea le gouvernement et on redistribua quelques pouvoirs.

Sur le papier, on changeait les choses, on promettait plus de consultation, plus de collaboration avec les partenaires sociaux. Les partenaires sociaux sont aussi une invention des dirigeants pour se persuader qu’ils sont près du peuple. Ce sont des gens, regroupés en syndicats qui n’hésitent pas à se faire les portes-paroles de leur propre cause. Ainsi, ils peuvent faire beaucoup de bruit (ils en ont le droit), et laisser croire que le gouvernement est composé de sourds, puisqu’il semble qu’il entende mieux les messages quand ces derniers sont hurlés dans la rue. Et d’idiots aussi, puisqu’en général ces messages sont assez simplistes, du style « Truc dehors », ou « Machin, on aura ta peau. »

Il est donc à noter que le gouvernement a de facto copié le principe de la soupape de sécurité de la machine à vapeur, appareil permettant de faire baisser la pression quand celle-ci menace de faire exploser la machine toute entière. Par un habile mécanisme de redistribution de l’huile, il faut veiller à ce que l’instrument soit régulièrement graissé, sous peine d’en perdre le contrôle. Mais juste ce qu’il faut : si c’est pas assez, ça se grippe, et si c’est trop, il n’y a plus assez de pression, et la dispositif perd en efficacité.

Le peuple, quant à lui, se contente d’attendre la prochaine question que l’on va lui poser (tous les cinq ans, en général) puisqu’il est bien trop occupé à travailler plus pour gagner plus. En revanche, on ne lui pas précisé quand cette mesure devait entrer en vigueur, et trente cinq heures par semaine, il attend de voir si elle est appliquée.

Le reste du temps, grâce aux RTT et à la télévision par satellite, il peut enfin se consacrer à des activités culturelle, comme la cuisine, pour savoir qui arrivera à préparer sa langouste à l’américaine sur un canoë lancé sur le fleuve Niagara en amont des chutes, ou encore participer au dernier apéro géant de Facebook. Si bien sûr ce n’est pas un soir de match, parce qu’il faut quand même pas déconner.

C’est sûr que si les romains avaient eu le foot à la place des gladiateurs, il est certain que nous parlerions tous latin à l’heure qu’il est.

Tout ça ne laisse guère le temps de savoir pour qui il faut voter. De toute façon on a essayé les deux partis (moi je les appelle devant et derrière). Remarque, ça peut toujours faire une sortie le dimanche, mais vu le prix de l’essence, c’est pas sûr que ce soit rentable.

C’est pour ça que je ne crois pas les livres d’histoire. Il est inconcevable de penser qu’un peuple qui a renversé son gouvernement et qui est parvenu à en inspirer tant d’autres, ne s’aperçoive pas que rien n’a changé, finalement. A part peut-être les faits qu’on ne tranche plus de tête et qu’on change de roi plus souvent.

La preuve : Le peuple continue à trimer pour que d’autres puissent décider sereinement de ce qui est bien ou mauvais pour des gens dont ils méconnaissent totalement la façon de vivre. Et si au passage, ils arrivent à s’en mettre un peu de côté, c’est toujours ça de pris pour les vieux jours (par exemple, des diamants africains font très bien l’affaire).

Il paraît qu’ils vont reculer l’âge de la retraite.

C’est déjà fait ?

Ah, pardon ! Ben raison de plus alors. Il ne reste plus de diamants ?

Tant pis. Donnez-moi pour onze mille euros de cigares, alors.

Le droit de cuissage est aboli depuis longtemps, mais j’ai quand même l’impression de me faire enfler, moi.

La morale de cette histoire ?

On sera sûr qu’un homme politique fera du bon boulot le jour où il sera élu contre son gré, et libéré pour bonne conduite à la fin de son mandat.

04/04/2012 16:17:08

  • J'ai pas pu le lire hier je viens de le faire. Il est très bon je trouve, même si je ne suis pas un "inconditionnel de l'inconstitutionnel" (ça exprime pas tout à fait ce que je veux décrire mais c'est marrant à lire n'est ce pas ?).
    Petite remarque : notre système de gouvernance n'est pas une Démocratie mais une République Démocratique. Il y à nuance, et de taille.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Skulltest

    apophis

  • "C’est sûr que si les romains avaient eu le foot à la place des gladiateurs, il est certain que nous parlerions tous latin à l’heure qu’il est."... Très bien vu, comme le reste du texte d'ailleurs........

    Pffffff.... pas très encourageant tout ça !!

    · Il y a environ 12 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • bon boulot,bonne analyse, hélas pour que cela marche ou crève il serai necessaire que le peuple soit éduquer intelligeament, on en est loin, bravo^pour le yexte

    · Il y a environ 12 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

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