Le sas des possibles

Je me suis créé une royauté, rien que pour toi. Et je t'y ai posée, tremblante, timide, lumineuse, investie de pouvoirs qui défiaient ma raison. Et c'est là que tu sièges, en ce palais, sous cette couronne, parmi ce que j'arrache de faste à mes mondes écroulés. Moreau. Extase pour une infante roumaine.

50 ans déjà. 50 ans que l'homme a fait l'amour avec la lune. Longtemps considéré comme un astre mystérieux, malfaisant, ce bout de Terre qui s'éloigne de nous d'année en année a été pris, foulé, retourné. Pour les téméraires, il ne s'agit que d'un continent exploré de plus. Pour les autres, l'accomplissement d'une mission impossible.

Jusqu'au siècle dernier, atteindre la lune était une jolie formule pour dire l'inenvisageable. Puis quelques savants fous décidèrent de relever le défi: diantre, il suffisait de projeter un objet étanche capable de contenir des humains, dans l'espace, au bon moment, dans la bonne direction.

Les soviétiques, pourtant les premiers en orbite, furent battus sur le poteau par des américains qui surent unir leurs projets tandis que les socialistes se divisèrent. Un comble. Ou une prémonition sur ce qu'il advint de tous les partis de gauche, à commencer par le nôtre.

Fort de nouvelles certitudes, Homo sapiens pensa que l'univers devint accessible et les enfants prodiges de l'ultralibéralisme se lancèrent à sa conquête avec comme premier objectif Mars, nouvelle destination touristique d'ici 2050 selon Musk et Bezos.

Entre temps les réfugiés disparaissent en mer, la Cathédrale brûle et la planète bleue fond. Peu importe, si la lune est à un jet de pierre, Mars est à une station de métro. Y a plus qu'à construire la rame.

Hello F. I'm so sorry for not replying sooner. Honestly Im having a bit of a hard time at the moment as I'm going through some fairly intense health treatment (chemotherapy). K.

Il existe un camp. Un havre de paix, de quiétude et d'espoir pour ceux qui n'ont plus rien, qui ont quitté leur patrie. Il y a même une bibliothèque pour acquérir les fondamentaux afin d'envisager un futur.

A Pikpa sur l'ile de Lesvos en Grèce, 30.000 âmes ont trouvé refuge depuis l'initialisation du projet, lequel est menacé de destruction. Sur un fil, des hommes et des femmes dansent entre la vie et la mort.

Au milieu de cette pantomime, il y a toi. Qui te démènes. Tantôt diplomate, tantôt jardinière. Tantôt médecin, tantôt porteuse d'eau. Tantôt prof de maths ou d'anglais, tantôt cuisinière.

Avec tout ton cœur tu te bats pour sauver les damnés du globe, ceux qui n'ont pas le choix entre la dinde ou le coquelet, le rouge ou le blanc, le camembert ou le roquefort.

A la verticale de l'été, un demi-siècle après l'homme sur la lune, sous un soleil de plomb, tu poursuivais ton sacerdoce, ne comptant plus les heures.

Et c'est là que la maladie te frappe. Tandis que tu protégeais les unes et soignais les autres. Comme une porte qui se ferme tandis que tu œuvrais pour ouvrir des accès.

Injuste. Mais, malgré la douleur et le désespoir, il y a ces paroles bibliques que je n'attendais plus et que, dans un sublime sursaut,  tu as eu la lucide tendresse de m'envoyer. Façon sos.

Comme un sas qui s'ouvre sur tous les possibles, ces quelques mots nous unissent à jamais. Toi, qui as allumé ce feu que je ferai survivre quoiqu'il advienne, car, par delà les montagnes et les abysses, je continuerai d'écrire ton nom.

                                                                                              2019

Illustration: ''Hairpin'', adrianboswell.com

Musique : ''All the best memories are hers'', Hans Zimmer 

 https://youtu.be/b4mit8fi-20