Le savon "madeleine"
violetta
Elle n'était pas opposée à un certain inconfort. Elle se souvenait d'un été brûlant, dans la petite maison près de la piscine, au fond de la propriété méridionale des parents de Mathias. Une cabine de douche en béton ciré, fermée par un affreux rideau de plastique vert, donnait directement dans la pièce où se côtoyaient le groupe de filtrage de la piscine et les attributs d'une cuisine : un évier de ciment, un réchaud électrique posé sur un vieux bahut, un petit frigo bruyant, une table et des chaises dépareillées. Ils avaient vécu là des moments d'intense volupté, à demi nus en permanence. Il faisait si chaud que les traces de leurs pieds humides séchaient en quelques instants sur le ciment. Ils allaient de la piscine au frigo, du frigo à la douche, de la douche au lit, dans la pièce voisine. Au passage ils se frottaient l'un à l'autre, s'embrassaient, s'étreignaient, se léchaient la peau, se passaient des gorgées d'eau et des morceaux de fruits de bouche à bouche… Leurs sens étaient continuellement enfiévrés, c'étaient des journées où ils ne faisaient que dormir, boire, manger, nager, se prendre et jouir… La rusticité de leur habitat les renvoyait à leurs seules ressources corporelles, réveillait leur animalité, et leur plaisir eût été moindre dans le luxe d'une chambre d'hôtel raffinée et climatisée…
Depuis, elle ne trouvait rien de plus érotique que l'odeur du savon de Marseille, assortie à la fraîcheur de l'eau dans un lavabo d'épaisse faïence blanche, ces après-midis d'été où elle aimait se laver souvent les mains et les avant-bras jusqu'aux coudes, pour se rafraîchir. La peau moite, presque nue dans des vêtements légers, elle aimait voir son reflet dans le miroir un peu piqué, tandis qu'elle frottait le savon pour obtenir une mousse fine, au parfum tendre et innocent de propreté simple. Elle était souvent tentée de se toucher, c'était si facile car en ces temps de canicule, elle ne portait rien sous ses robes légères. Elle glissait sa main dans sa toison, les cuisses écrasées contre la faïence du lavabo, et elle se regardait droit dans les yeux dans le miroir, jusqu'au moment où ses pupilles chaviraient sous l'effet du plaisir qu'elle se donnait. Elle restait quelque temps encore à se regarder reprendre contenance, le cœur battant, les lèvres entrouvertes, les narines aspirant avec volupté l'innocent parfum du savon de Marseille…
Ce savon rustique, c'était sa petite madeleine…
Superbe, j'aime beaucoup, fin et sensuel ! je ne regarderais plus le savon de Marseille de la même façon :)
· Il y a plus de 2 ans ·Patrick Gonzalez
Merci beaucoup !
· Il y a plus de 2 ans ·violetta
Très jolie nouvelle sensuelle à souhait ! Comment oublier ce savon "madeleine"......Franchemenbt, on y est !!
· Il y a plus de 2 ans ·Louve
franchement
· Il y a plus de 2 ans ·Louve
Merci beaucoup, Louve ! Tant mieux si ce petit texte vous a plu ! C'est un vrai souvenir...
· Il y a plus de 2 ans ·violetta
Rectification
· Il y a plus de 2 ans ·La simplicité heureuse (7 syllabes, le haïku étant 5/7/5 !)
astrov
Le talent Astrovien, toujours intact... Merci !
· Il y a plus de 2 ans ·violetta
Rustique dit-elle
· Il y a plus de 2 ans ·Dans la simplicité heureuse
L'humain s'épanouit
(Haïku astrovien, début du XXIe siècle après JC)
astrov