le silence de ma mort
christinej
Pourquoi mentir?
Je n'ai plus de force.
Je n'ai plus les moyens de faire semblant, je suis à sec, drainé.
Mes guiboles ont déposé le bilan.
J'ai plus d'excuses sous le coude. A force de le lever, j'ai tout perdu.
Dans ma tête la guitare de Charlie Byrd s'efface, par bride, inévitablement, malheureusement.
Cela me désole, me sape, alors les vannes s'ouvrent, je pisse des yeux une tristesse trop morose.
C'est lourd, c'est encombrant la tristesse.
Moi j'ai toujours vécu selon mes désirs, mes impulsions, mes envies. J'ai crevé la route avec mes chaussures affamées.
Mais c'est du passé tout ça.
Maintenant, je suis un cadavre ambulant, embuant la fenêtre de mon trou à rat au 334 de la rue Thomas Disch.
Un palace pour pouilleux, l'endroit est parfait pour moi, il me ressemble.
Qui je suis?
J'étais….personne.
Un vague souvenir, un somnambule.
Mes amis m'appelaient Dédé, mais je suis sûr que la plus part d'entre eux ne connaissaient même pas mon véritable prénom.
Parfois, même moi je l'oublie.
C'est sans importance, enfin si, peut être un peu quand même.
Je n'étais qu'un petit gratteux de guitare, qui jouait à la va vite, dans des bars miteux ou paumés.
Un petit voleur, sans vrai talent. Je me suis pris des coups, j'en ai donné aussi.
J'en ai vu du pays, au travers de bouteilles vides, de femmes vaguement belles, légèrement mariées. Je me suis sauvé plus d'une fois avec le calbute en écharpe.
J'ai perdu la notion du temps, de la vie, de ma vie.
J'ai fait des conneries, des trucs insignifiants et d'autres plus graves. J'en suis pas fier. Quand on est saoul du matin au soir on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas.
Et un jour on se réveille et quand on se regarde dans le miroir et que ça vous donne envie de vomir, ça fait mal.
Je ne me rappelle plus avoir été jeune, insouciant et con oui, toujours, mais ça n'a rien à voir avec la jeunesse. Non je crois que j'ai toujours été vieux là-dedans, pressé d'en finir, grinçant des articulations, le cœur déjà entrain de pourrir.
L'alcool conserve à ce que l'on dit, ouais il faut le croire car je suis toujours là, hélas. Raclant l'air avec mes poumons retapissés au goudron. Un foie en fin de vie jaunissant ma peau pour être dans la nuance de mes dents et de mes yeux crevards.
Comment j'ai échoué, ici, au 334?
Je ne sais même plus, on m'a ramassé, surement au fond d'un caniveau, puis balancé près de cette porte vermoulue.
J'ai rencontré, alors, Janis, tout un numéro cette matrone. On partage la même maitresse, la bouteille, la même trace de vomi au coin de la bouche, les même yeux qui ont trop vu de malheurs, une peau que plus personne ne veut caresser.
Elle m'a filé une chambre, aussi grande qu'un paillasson, avec une moquette rugueuse rouge et un vert crado craché sur les murs. Dans un coin oublié des oreilles, une gratte, au vernis usé, aux cordes vocales muettes.
Mais je la remercie, Janis, car elle l'a fait sans pitié dans le regard. Elle sait que c'est dur de se relever quand on est tombé tellement bas qu'on a déjà les fesses qui crament.
Ah, c'est un sacré bout de bonne femme la Janis.
C'est une Janis Joplin de fond tiroir, avec cette beauté que l'on découvre qu'après plusieurs verres.
Mais quand elle se laisse aller, sur son vieux piano déséquilibré, elle arrive à me faire voyager de l'intérieur. Dans ses bonnes heures, elle se prend pour un Oscar Peterson blanche. Elle transforme son salon en un lieu enfumé et ivre de musique blues. Même les araignées frissonnent sur leur toile.
Mais c'est jamais très long, elle est plus toute jeune la Janis, elle a de la bouteille comme elle dit si souvent, avec un reste de whisky centenaire tout au fond.
Après, je remonte sur mon perchoir à écumer mes jours et à blanchir mes nuits.
Je croise parfois mes voisins d'infortune, une bande de chiens galleux ramassés sur le trottoir par Janis.
Des âmes perdues, qui trainent leurs guêtres dans les couloirs de la bâtisse.
Il y a Errol, un médecin amerloque qui traine les chaines d'un fantôme, il attend son heure, comme nous tous. Il est pas très bavard, moi non plus, alors c'est bonjour au revoir quand c'est pas tout simplement un hochement de tête.
Il y a Erwan au 5ème, un jeune guitariste, il est plutôt doué, on discute parfois musique pendant une nuit entière, j'ai l'impression de revivre un peu. De ressentir à nouveau les cordes vibrer sous mes doigts calleux. Des frissons parcourent ma peau comme la première fois ou j'ai entendu un morceau de blues. Ouais je l'aime bien ce petit gars.
J'ai croise aussi un gratteux d'une autre espèce, un gratte papier, un écrivain à ce qui parait. Il peut rester enfermer des jours à étaler ses mots.
Mais je reste à l'écart, de leur malheur, de leur vie cabossée, j'ai suffisamment de la mienne à porter et à supporter.
Je les entends qui pleurent parfois la nuit, ça ajoute une couche à notre navrante solitude.
Je ne cours plus, je trottine à peine. Ma plus grande aventure c'est d'aller à la salle de bain deux étages au dessus. Je me bats avec les cancrelats et même parfois quelques rats. Après il faut boucher les trous dans la porte avec du papier journal et surtout il ne faut pas oublier une cale, y a pas de verrou sur la porte. Et se retrouver nu comme un ver devant un blanc bec ça la fout mal, même quand on plus rien à cacher.
Je reste allongé sur mon plumzingue à admirer les taches au plafond, je me demande si dans ma caboche y a des taches aussi, ça m'étonnerait pas.
Le temps s'égoutte à travers mes pores, collant et puant à souhait.
Je n'ai rien, que ma vieille carcasse et deux albums un de Muddy Waters et de Chuck Berry, que je rejoue dans le silence de mes nuits.
Mes os sont devenus des rognures de papier mâché.
Ma peau suinte sa mélancolie et tout les regrets d'une vie bâclée.
Je fixe l'absence depuis si longtemps que je ne vois plus rien.
Je devrais ouvrir la fenêtre, l'air frais me réussi par trop mal.
Mais j'arrive pas me lever, je suis trop fatigué.
Ca fait plusieurs jours que le chat de l'immeuble me rend visite, on dirait qu'il attend quelque chose de moi. Ce soir il ronronne sur mes guiboles, comme une couverture chauffante. Ca fait du bien de ne pas être vraiment seul, pour une fois.
On m'appelait Dédé, mais mon vrai prénom c'est Didier et je crois que je vais mourir ce soir et dans ma tête BB king joue comme un dieu.
Magnifique.
· Il y a plus de 10 ans ·Marion B
Merci Marion B
· Il y a plus de 10 ans ·christinej
C'est fort, c'est bien ! Chapeau
· Il y a plus de 10 ans ·Stéphan Mary
merci beaucoup Stephan Mary
· Il y a plus de 10 ans ·christinej
Eh bah....personnellement, c'est l'un des meilleurs texte que j'ai lu sur WLW. C'est écrit comme une pro, ça m'a transporté. J'aime les métaphores et la fluidité. J'adore l'histoire, tout simplement. C'est vraiment, vraiment bon. Tu a un talent monstrueux. Donc, bon naturellement : coup de cœur et 5/5.
· Il y a plus de 10 ans ·mlleash
merci, c'est vraiment gentil, c'est un tres beau compliment que tu me fais la alors merci cela me fait enormement plaisir
· Il y a plus de 10 ans ·christinej
De rien :) tu le mérites.
· Il y a plus de 10 ans ·mlleash
Et béh ! Toujours aussi gais tes textes ma Christinej...
· Il y a plus de 10 ans ·N'empêche ! Ça a de la gueule ! J'aime bien.
(ps : fais attention à tes fautes, il y en a beaucoup...)
wen
merci beaucoup wen
· Il y a plus de 10 ans ·christinej