Le témoin
mglow
Je me baladais à travers les rayons comme à mon habitude sans savoir lequel choisir. Je les regardais tous, un par un. Il ne fallait pas que je me trompe : j'avais soif, j'avais faim. Ils me dévisageaient de la tête au pied priant que mes doigts se posent sur leurs peaux. J'avais honte d'entendre autour de moi toutes ces voix si précises, si sûres dans leurs choix : des tonalités différentes, des titres différents, des auteurs que je ne connaissais même pas. J'étais figée comme la plante posée dans le coin de la pièce à attendre je ne sais quoi.
Je décide de commencer par la fin : la lettre Z. J'aime bien faire ce genre de chose : aller dans le sens contraire des règles. C'est comme ça depuis toujours : dans les transports en commun par exemple, je fais en sorte d'être toujours assise dans le sens opposé du trajet que j'emprunte pour lire dans les yeux de l'inconnu en face de moi le film qui m'attend, les images que je vais découvrir après lui.
Z… Y… X…W… V : j'aime bien cette lettre aujourd'hui, elle m'inspire. La semaine passée j'avais été touché par le charme d'une autre demoiselle… Je suis complètement instable. Je trompe. Je fais l'amour à l'une puis à l'autre et je n'arrive pas à m'arrêter. J'aime aller voir ailleurs. V… V… V… Van Cauwelaert ? Le journal intime d'un arbre ? Ce mec n'a pas toutes ses frites dans le même panier… Comme moi. Et puis, c'est un voleur : j'ai toujours aimé la nature et particulièrement les arbres. Ils ont quelque chose de mystique, d'intemporel, de surnaturel…
Dans une pièce puis dans une autre, on se découvre…
Il s'appelle Tristan. Drôle de prénom : monotone, sombre, plat. Il a trois cents ans ; je comprends alors pourquoi son portrait en couverture est bourré de rides malgré les retouches… Le pauvre. C'est un poirier super star méga robuste, un intellectuel à la culture générale long comme l'espace qu'il occupe, un muet si on n'insiste pas et un perroquet lorsqu'on s'intéresse à lui… Un faux timide en fait. Il vient de tomber, victime de la minitornade… Sa fin est proche mais en attendant, il n'arrête pas de penser et de me faire penser par la même occasion…
Etre ou ne pas être, tel était la question. Dans notre situation à Tristan et moi, la question est Quand on est plus, que devient ce qui a été et qui nous a été partagé ?
C'est comme si j'étais sur place. Comme si le docteur Lannes m'avait invité à boire un thé dans sa demeure et à me présenter Tristan. Comme si je lui avais demandé de me laisser seule avec ce dernier. Oui, je reste persuadée qu'à chaque fois que je tournais les pages de sa vie, j'étais près de lui. Je suis persuadée qu'à mon tour, j'ai eu envie de lui raconter mes secrets comme les autres l'ont fait avant moi.
Ce paradoxe entre silence et bruit qui découle de lui me fait fondre : d'une part cette capacité d'écouter toutes les histoires du monde et de l'autre, ce pouvoir de réponse sans dire mots. Et cette confiance presque directe qu'il dégage par sa stature, son écorce, ses feuilles… son tout.
Oui, je crois que je suis tombée littéralement amoureuse de Tristan. C'est le genre de mec à qui j'aimerais dire : « Pour le meilleur et pour le pire ». C'est au-delà du physique, c'est chimique. Je pleure avec lui. Je souris avec lui. Je comprends en même temps que lui et j'ai envie de rester à ses pieds, le temps qu'il faudra, le temps que le temps s'occupe de lui.
Il me fait confiance. Il me raconte toutes ces histoires, les une après les autres : elles sont troublantes, effrayantes et joyeuses à la fois. Je jure de ne rien révéler, de tout garder et d'être la gardienne de toutes ces âmes… Moi aussi.
Très bien écrit et syntaxe parfaite. ça donne envie de découvrir le livre en question.
· Il y a plus de 10 ans ·Kaitlynn Plinhe
Merci Kaitlynn ! Fais toi plaisir, tu ne le regretteras pas :)
· Il y a plus de 10 ans ·mglow