Le vilain réflexe du marketing littéraire

axelbolu

Pardonnez-moi mon père car j’ai pêché. J’ai maintes fois prié le Dieu du marketing et de la communication par le passé. Mais depuis quelques années je ne prie plus. J’ai bien peur d’avoir perdu la foi. Et pourtant… Pourtant on n’efface pas une demi-vie de communication, qu’elle soit imprimée, télévisuelle ou digitale, d’un simple coup de blues ou d’une grande remise en question philosophique. En France quand on tient un métier, c’est pour la vie. La reconversion est un pèlerinage long et douloureux ponctué de détroits infranchissables, de falaises dangereuses et de batailles sanglantes.

Alors on chausse ses sandalettes de cuir (mon clavier), son bâton de pèlerin (Word), on prend son courage à deux mains (sinon il a tôt fait de se casser la gueule) et on se lance sur le chemin de ce lointain village tout là-haut dans la montagne. Là où seul le vent se fait entendre. Il parait que là-bas, chacun tient une chance de tout recommencer, tout reprendre à zéro. J’espère que les moines seront cool et qu’on pourra quand même faire quelques blagues salasses !

Bref… J’écris.

Dans la merde je suis. Car si je rêve d’un revirement de situation radical, au point de raccrocher mon ordi et de fracasser mes doigts sur le clavier d’une machine à écrire Olivetti, mon passé de drogué de l’écran me rattrape toujours par l’épaule au moment de me jeter dans le grand vide de l’analogique. Ah ce bon vieil ami digital. Qu’il est fidèle et tenace. Il suffit que j’écrive une nouvelle qui me plaise enfin pour qu’une envie incontrôlable de la publier sur Internet me prenne. Comme une envie de pisser. J’ai trop bien compris l’enjeu des réseaux sociaux. Ces espaces de vie parallèles, froids et impersonnels, où des hectolitres d’informations se déversent chaque seconde sur votre page d’accueil, dans votre boîte e-mail, sur votre flux RSS. Quoi qu’il se passe il y aura toujours un bip pour vous le notifier. Promis, juré, vous ne raterez jamais rien. Vous saurez tout, mais toujours de loin, dans l’espace restreint d’un petit carré de cristaux liquides. Vous saurez tout mais en surface, en images ou en 140 caractères maximum. Vous ne saurez rien. L’ « infotainment » nous fait cuire à feu doux. L’information meurt à petit feu. Seuls quelques rares résistants, planqués dans le maquis, revêches comme des gitans qu’on traiterait de voleur de poules, se battent pour une information de qualité. Le journalisme du XXIème siècle n’est pas celui auquel on s’attendait.

Bref… Le marketing pue.

Il a transfiguré la communication, il a contaminé l’information et dénaturé le journalisme. L’enjeu d’aujourd’hui, c’est de séduire et de vendre. Les gens veulent se divertir avec des images (animées de préférence), rapidement, facilement, si possible gratuitement. Et moi j’écris. Moi je rêve de pages blanches avec des lettres en noir. Je veux encore sentir l’odeur du papier et tourner les pages en faisant couler mon sang, parfois. Comme je creuse encore le sillon de mes vinyles, comme je joue aux petits chimistes dans mon labo photo. Décroissance ? Nostalgie ? Utopie ? Connerie ? Sans doute suis-je encore dans mes réflexes de marketeux, cédant aux sirènes du vintage.

Ce sont ces mêmes réflexes qui me poussent à choisir un pseudo d’auteur (un pseudo-auteur ?) atypique plutôt que de m’assumer comme je suis, créer une page Facebook et un compte Twitter, mettre en place un processus de « community management » pour toucher ma cible au meilleur moment, avec les bons mots. 38 « likes », quelques « followers » largués depuis belle lurette… Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Est-ce que je n’y verrais pas plus clair si je soufflais les bougies pour avancer seul dans le noir, sereinement. Sûrement. Mais les réflexes du marketing me collent aux basques comme un chewing-gum Hollywood sur mes Adidas. Je mets la charrue avant les bœufs, je me regarde le nombril et au final je travaille pour le roi de Prusse. J’ai clairement la tête dans les nuages. Une chose est sûre : si je passais plus de temps à écrire et moins de temps à communiquer sur les choses que j’écrirai peut-être un jour, je serais moins con.

PS : même cet article (que je ne pus m’empêcher de publier sur Internet) est un acte de communication, voire de marketing à peine voilé. Je suis mal barré…

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