Le voleur de rêves

Hervé Lénervé

Une énigme ménagère.

Je suis de mauvaise humeur ce matin.

J'ai une cuisine, comme bien des gens, toute équipée, ce qui est également fréquent, or ce matin en m'y rendant pour me faire un café, je m'aperçus qu'il manquait un placard bas dans mon mobilier intégré. Je me frottais les yeux pour remettre de l'ordre dans mes visions et malgré la collaboration des placards voisins pour dissimuler le vide de l'absent, du mieux qu'ils pouvaient, il ne faisait pas de doute que le placard à casseroles avait fugué. Malgré l'évidence je me penchais pour mieux en constater la défection. Un, deux, trois, quatre, ok, mais il en manquait un et un double, donc difficilement camouflable. Les efforts des autres complices même en enflant comme grenouilles ne suffisaient pas à masquer la désertion.

A cet instant je n'étais encore que perplexe.

J'allais réveiller mon fils, il allait être l'heure qu'il se lève et comme à chaque disparition de choses des plus improbables, il y avait toujours de lui là-dessous, je le tirais de ses brumes par :

-         Qu'est-ce que tu as fait de mon placard ?

Il me regarda, les yeux ronds, du regard de l'innocent qu'on accuse à tort, sans daigner répondre à une question aussi absurde.

-         Mon placard de cuisine ?

-         T'as lavé mes fringues de gym ?

-         Mon placard ?

-         Mais quoi, ton placard ? Qu'est-ce que tu veux que je fasse de ton placard ?

-         La même chose que de mon plumeau, de mon oreiller, de mon rocking-chair. Que sais-je, ce que tu as bien pu en faire ?

-         Je n'ai pas touché aux placards ! D'accord !

-          Où est-il, alors ?

-         J'sais pas, maman… mes affaires de sport ?

Comme il n'y avait rien à tirer de ce zombie, je retournais à la cuisine pour vérifier mon état mental. Il était stable et le placard toujours en vadrouille. C'est alors qu'une pimbêche qui n'avait rien à faire chez moi, entra dans cette histoire.

-         J'peux avoir un lait chaud ?

-         Mais qui tu es, toi ? Et d'où sors-tu, d'abord ?

-         J'suis une copine de Jérémy.

-         Ouais et mon placard ?

-         Ha ! Ce placard-là ?

-         Oui ! justement ce placard-là, qui était là, tu vois.

-         Bien sûr, je vois ! Mes parents avaient besoin d'un placard de la même dimension pour leur cuisine.

-         Très bien et alors ?

-         Alors,  je l'ai pris ! Voilà !

-         Mais quoi, voilà ? Ne voilà pas du tout !

-         Jérémy m'a dit que je pouvais le prendre.

-         Merde! Jérémy n'a pas à brader notre mobilier sans mon consentement et toi tu es assez grande pour le comprendre.

-         Bien sûr, mais ça m'arrangeait pour mes parents, vous comprenez ?

-         Mais je ne connais pas tes parents !

-         Vous ne perdez rien.

-         Si mon placard.

C'était une histoire de fou et je n'étais encore qu'au début.

-         D'abord, où as-tu couché ?

-         Avec Jérémy, pardi ! mais on n'a pas beaucoup dormi.

-         Ah, bon ! Et si vous n'avez pas dormi, c'est moins grave, c'est ça ? Incroyable ! Quel âge as-tu et tes parents savent que tu as couché ici ?

-          Oh, vous savez mes parents…

-         Oui, je sais ! tes parents à part piquer les placards des autres, ils s'en foutent !

Elle me regarda d'un air de défi, en redressant sa tête encore plus haut qu'elle ne la tenait déjà de son port de reine. Elle me toisait carrément à présent

-         Et mon lait chaud ?

-         Attend ! Encore une question. Les casseroles qui étaient dedans le placard ?

-         Pas touché ! Elles doivent toujours y être.

-         Ok ! Alors, pour ton lait, tu le prendras froid, car je n'ai plus de casserole.

-         Vous savez du lait ça peut se réchauffer aussi au micro-ondes.

-         Eh bien ! Débrouille-toi.

-         Attendez, je ne suis pas chez moi.

-         C'est nouveau ça ! quand on n'est pas chez soi, on ne se promène pas à poil.

-         J'ai une culotte.

C'est vrai qu'elle avait une culotte, si on peut appeler culotte deux bouts de fils sur la taille et un haut très large et très court qui ne réussissait à cacher ni le bas, ni même le haut. Ses seins arrogants me toisaient également.

Je quittais la cuisine en espérant que l'exaspérante ne sache pas se servir du micro-ondes, ce que je doutais fortement. Avant de partir, je faisais un clin d'œil aux placards restants pour me faire pardonner d'avoir cru qu'ils couvraient la trahison de leur confrère. Ils mettaient restés fidèles les braves petits et je sortis.

-         Jérémy ! Viens voir ici, tout de suite !

***

Ma tendre épouse était de mauvaise humeur ce matin, quand elle me raconta son rêve en riant. Je sais, ce n'est pas jolie, jolie de voler les rêves des autres, mais l'histoire était cocasse et je tenais à la partager. Moi, j'avais fait un rêve qui n'aurait intéressé personne. J'avais passé toute ma nuit, à passer l'aspirateur au plafond sans aucune difficulté, car comme on le sait la gravité ne pèse rien dans l'onirique.

  • et l 'armoire normande de ricaner doucement dans son coin . Trés agréable lecture

    · Il y a environ 7 ans ·
    Photo0250

    ciel-d-ete

  • Bien trouvé, si j'ose dire, pour quelqu'un qui cherche ses placards! J'aime bien le rôle des placards complices qui bougent, ça me fait penser à un dessin animé.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

    • Moi, j’aime bien la jeune qui ne doute de rien, mais je n’aimerais pas l’avoir pour bru. Merci !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Excellent cette petite histoire. J'aime bien la complicité avec... les autres placards.
    :)

    · Il y a environ 7 ans ·
    Black

    le-droit-dhauteur

    • Eh, oui ! On appelle cela l’esprit de corps. C’est bien trouvé car si on l’appelait le corps d’esprit, on ne comprendrait rien. Maintenant l’esprit de placard est moins connu, il est vrai. Lol.

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • : )

      · Il y a environ 7 ans ·
      Black

      le-droit-dhauteur

  • Super drôle...mais j'ai cru, un instant, que vous aviez perdu la raison !

    · Il y a environ 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Impossible ! On ne peut pas perdre ce que l’on n’a pas.

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • Ha, ha !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Très drôle....Merci pour la pause rire entre deux nettoyages de placards....
    En plus , c'est vrai!

    · Il y a environ 7 ans ·
    Oeil

    anne-onyme

    • Profite du nettoyage pour vérifier que personne t’en a piqué et bon courage.

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Ah que j'adore ça !

    · Il y a environ 7 ans ·
    49967 4832e34b8ef74d58bc32

    bartleby

    • Oui ! Et bien attends que cela t’arrive. Ha, ha, ha !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

Signaler ce texte