L'échappée belle

Valérie Girault

J'écris le soir. Quand mes enfants, mon mari ne savent plus qui je suis. J'écris quand mon ciel se déchire. Quand les mots se sont imposés toute la journée, m'ordonnant de répandre leur substance sur le papier. Parfois, je me souviens de ces phrases impérieuses qui m'ont obnubilées le jour mais bien souvent ce sont d'autres mots qui jaillissent le soir. Je suis l'éperdue, l'insolente, la révoltée.
Je redoute parfois l'heure de quitter cet état d'apesanteur. Je prolonge le plaisir d'être moi. Seule l'appréhension de souffrir au moment du réveil m'intime l'ordre de m'arracher à mon extase. Je quitte à regret mon écran. Ma chienne le sait. Elle lève la tête, l'incline en me regardant. Elle sent alors que je reviens doucement au réel. Elle se dirige vers la porte du garage et attend que je lui ouvre pour continuer sa nuit. Elle me donne le signal et si je tarde trop, elle menace de gratter à la porte. Je m'arrache alors lourdement de mon siège avant qu'elle ne réveille la maisonnée. La parenthèse est terminée. Je vais me coucher en prenant soin de rester imbibée de ma torpeur si volatile.

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