L'éclat.

austylonoir

Et pour finir, elle a fait une de ces courbettes dont se prévalaient les hommes et les femmes de la scène en remerciement de leur public. Dans l'écho qui montait, elle entendait la clameur transportée des mains battues, sa performance applaudie, mais cette fois-ci, une inquiétude la prenait. Et elle se demandait, qu'était-ce? Toute la soirée, elle avait chanté l'amour et le désespoir, et aux refrains les plus vrais, ceux qu'elle avait écrit à veines ouvertes, elle s'était sentie à un pas de la tombe, ce soir, elle a chanté, je vais dans l'autre maison.


Les projecteurs la suivaient, elle souriait, digne et belle à la fois. Merci, elle répétait, merci. Des bouquets de fleurs tombaient à ses pieds, et son nom comme une louange, se faisait répéter. Pour tous ces gens venus la voir, elle était la projection d'un idéal, une chose qui s'espère et qui ne peut s'obtenir. Elle voulait tout leur avouer, ce soir avant le prochain, mais le courage lui manquait. Alors le rideau s'est refermé, et déjà elle se sentait oubliée. Où était l'éclat ardent de ces rampes à merveilles? Elle jugeait qu'il avait passé comme une vue incertaine, un mirage dont le faux se révélait sitôt tourné l'oeil.


Elle faisait une petite moue avec la bouche en s'observant dans le miroir de son vestiaire. Elle le faisait toujours, gênée d'admirer les tracés fins de son propre visage. Ce n'était pas de la pudeur. C'était une question qui la tourmentait : combien d'égo pouvait-on supporter à soi seul? Au début les compliments l'avaient ravie, elle se passait une mèche derrière l'oreille en souriant de contentement. Puis à mesure que l'habitude avait noyé l'enchantement premier, elle s'était demandée si la chose était saine, et il lui avait semblé que non, et elle s'en était trouvée malade, et dès lors, elle avait voulu tout arrêter.


Elle s'est essuyée le mascara d'en-dessous des yeux, délicatement. Des gestes précieux et appliqués qui laissaient entrevoir à quel point, elle, qui était de naissance modeste, s'était appropriée les manières de la haute échelle. Elle donnait l'air de ces artistes qu'a fait grandir le Paris latin, et dont les r roulés comme il faut dans la langue, avaient la symphonie bourgeoise et l'élégance apprêtée. Elle a enfilé son manteau et s'est glissée dans la nuit froide, en faisant son chemin jusqu'au port industriel, où quelques marins s'activaient avant l'aube, chargeant les cargos pour la mer du Nord.


Devant un baril où brûlaient le bois des palettes et d'autres combustibles, elle a fouillé ses poches pour en sortir un vieux portefeuille abîmé par le temps. On y voyait son père en sépia avec quelques tâches de jaune marquant la photo ; la gueule militaire et le sourire incomplet, mais dans les yeux toujours, la tendresse des pères. Le feu lui dansait dans la pupille, elle s'y réchauffait le regard, ça faisait parfois des étincelles et quelques craquements légers. Ce soir elle le savait, elle avait chanté sa dernière chanson. Parce qu'elle prenait conscience d'une chose, pour elle comme pour beaucoup, la musique n'était qu'un moyen de remplir le silence. De le faire taire, si toutefois la chose était possible. En son absence, la vie prenait sa dimension la plus réelle et alors il n'y avait plus de retraite. Peu à peu l'aube est montée, les mouettes sont sorties dans le ciel écarlate. Elle ne voulait plus se fuir.

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