L'écrin

nyckie-alause

Mercredi nous avons reçu un carton qui contenait notre avenir.

Je vois bien que s'affiche sur ton visage une certaine perplexité mais écoute, il était 9 heures, je m'apprêtais à partir, je venais de fermer, j'avais encore les clefs à la main quand l'ascenseur a lâché un soupir et une sorte de facteur vêtu de rouge en est sorti façon diable. Tu te souviens qu'à mon étage le mur de la cage d'escalier est peint d'un rouge puissant que, pour ma part, j'ai trouvé un peu agressif quand le syndic a fait repeindre. Et bien ce livreur, ou facteur, ou je ne sais quoi, portait une combinaison du même rouge, exactement. Sur le compte-rendu de l'assemblée générale durant laquelle la rénovation des communs a été décidée doit être noté la nuance exacte sous forme de RAL 3000, soit ce que monsieur Blanc a précisé être « rouge ferrari ». Donc quand je dis agressif tu imagines bien le genre de  couleur qui engendre comme… un grincement de dent. Mais revenons à notre visiteur. Je dis notre car sur le paquet qu'il me tend il y a bien marqué sur l'étiquette madame ET monsieur. J'ai beau lui dire que je n'ai rien commandé, que je suis très pressée, qu'il s'agit forcément d'une erreur, rien n'y fait. Je suis coincée entre la tête et les mains de ce type qui ont l'air de sortir du mur et ma porte que j'ai déjà fermée. Pour atteindre l'ascenseur je devrais le bousculer. Il insiste ! Je cède. Je saisis le carton et, surprise, il refuse tout à coup de le lâcher. « Vous devez signer d'abord, là, sur l'écran. »

 Il vient en effet de faire apparaitre une tablette, sans desserrer ses mains de la boîte. Et moi, que puis-je faire face à un prestidigitateur ? Je signe, bien sûr. Et il repart comme il est arrivé, il se glisse dans l'ascenseur comme une bavure de peinture, une coulure, une disparition. La tête et les mains, hop ! un glissement, deux tâches noires des souliers qui produisent un petit grincement caoutchouteux sur le revêtement de la cabine, les portes qui chuintent en se fermant et au loin, le ronronnement d'un moteur électrique. Combien de temps a duré cette scène ? Je ne saurais te dire. Après sa disparition, interloquée, je suis restée sans trop savoir que faire : partir avec le paquet et le laisser toute la journée dans la voiture ou chercher mes clefs qui, comme d'habitude ont dû glisser jusqu'au fond de mon sac, ouvrir la porte, poser le colis sur la table, et reprendre ma routine qui consiste quoi que je fasse à arriver en retard au travail. Devine…

— Tu as ouvert ta porte…

Décidément, ce n'est pas drôle ! Rien ne peut donc te surprendre ?

Mais tu vas voir, l'histoire ne se termine pas ainsi. C'est un truc avec des rebondissements, des coups de théâtre, et même, mais là rien d'exceptionnel, des disputes. 

Donc me voici dans l'appartement, je pose le carton sur la table, et j'essaye de l'ouvrir. Celui qui a réalisé l'emballage est une personne très soigneuse. on aurait bien besoin d'une personne comme ça pour se charger des envois à la boîte. C'est Marcel qui s'en charge et la semaine passée on a quand même eu deux réclamations et un retour. Il n'est pas méchant mais il est bête et ça, je crois que c'est définitif. Mais je m'égare. Donc le paquet résiste à une hâtive curiosité. Et me voici à nouveau à un tournant de ma vie : le laisser sur la table jusqu'à ce soir ou poser mon sac, mes clefs, et même mon manteau, aller chercher un couteau pointu à la cuisine et assouvir mon désir de savoir. 

— Tu optes encore pour la seconde solution alors ?

Arrête ! Tu m'agaces ! Bien sûr que je pose mes affaires et vais prendre un couteau. Mais avant le premier coup de lame, je prends soin de prévenir de mon retard. Je ne mens qu'un peu « j'attends un colis très important ». Et là, en suivant bien soigneusement la ligne tracée par l'adhésif j'insère la pointe de l'instrument jusqu'à… la limite de l'étiquette. Elle mérite un examen un peu approfondi. L'expéditeur déjà : AZTHER. sans précision de compagnie, société ou personne physique. L'adresse ensuite : elle est composée de mots écrits en toutes lettres bien que certaines soient surmontées d'accents ou de petits signes inusités ; tout est imprononçable et je te l'avoue, illisible. Je n'arrive pas à faire d'association débouchant sur un son. Le destinataire maintenant : c'est bien nos deux noms qui sont inscrits, l'adresse est convenable, même l'étage est noté. Une telle précision est assez rare. Tu le sais, je suis coutumière des achats sur internet mais jamais on ne m'a demandé cela, je crois, je m'en souviendrais non ? Donc, ce qui est contenu dans ce carton, ce n'est pas moi qui l'ai commandé. 

Revenons maintenant à l'étiquette. Ça m'ennuie de la découper. Je gratte un coin du bout de l'ongle et sans difficulté elle cède, elle roule un peu mais je l'aplatis du plat de la main sur le plateau de la table et elle y reste. Sous l'étiquette que penses-tu que je découvre ?

— Des précisions ? Un autre étiquette ? 

Tu es trop forte… Ou alors tu es au courant de quelque chose, c'est ça ? Une autre étiquette monsieur et madame un nom qui pourrait ressembler au notre, une autre ville, un autre pays. Et le plus improbable un autre expéditeur dans la même langue que précédemment. A mon avis il doit s'agir de hongrois, les magyars sont des gens très étranges. Imagine les difficultés qu'ils rencontrent quand ils apprennent à lire. Quand Jean et moi sommes allés à Budapest l'été dernier, sur la route, le temps de déchiffrer les panneaux nous étions déjà au carrefour suivant et nous étions perdus. Pour les menus de restaurant on avait repéré deux ou trois choses comestibles que nous montrions du doigt plutôt que de tenter de prononcer des mots sans voyelle.

J'en suis où ? Ah, oui, l'étiquette suivie d'une étiquette, qui a son tour recouvre…

— Une étiquette ?

… Une étiquette. Enfin des demi-étiquettes car elles ont été coupées. Par quelqu'un. Pas par moi. Encore une ou deux résistances et j'ouvre les quatre rabats de carton pour découvrir…

— Allez, arrête ce suspens ! Qu'y a-t-il dans ce satané colis ? 

C'est là que l'histoire se corse encore. Du papier brun chiffonné recouvre toute la surface pour protéger une boîte sans signe particulier. Gris pâle, cubique, légèrement brillante, non, plutôt soyeuse. Douce au toucher. Comme ces emballages délicats et minuscules qui s'ouvrent comme de précieux coffrets pour découvrir un coussin de satin sur lequel se repose un bijou précieux, une pièce d'orfèvrerie, un trésor. Je la secoue un peu elle reste sans voix mais c'est mon téléphone qui sonne. 

« Chérie ? C'est moi… »

C'est lui mais pourquoi ce ton hésitant. Et déjà pourquoi m'interroge-t-il en disant Chérie ? Un peu sèchement je réponds « ben, sûr, avec mon téléphone qui à part moi peut répondre ? ». Là il toussote et c'est des heu, des hum quand enfin il demande « J'ai reçu un colis ce matin ? ».

« Nous avons reçu un colis, » en insistant bien sur le nous. Je viens de le poser sur la table. 

Il panique « surtout ne l'ouvre pas, c'est une erreur ! ». Une erreur de quoi ? Et il continue, sans que je puisse placer un mot.

« Ne t'inquiète pas, je le renvoie dès demain! Et même dès aujourd'hui ! Ne t'occupe de rien ! Laisse-le sur la table et je vais prendre un moment, je vais passer le prendre. Je le renverrai de suite ! 

En ce moment, je te l'ai déjà dit, il m'agace, il m'énerve. A mon avis il cache quelque chose. Alors je dis « d'accord, d'accord, je suis en retard, je vais travailler… ». Il ne me souhaite pas une bonne journée, non, il dit juste « A ce soir ! ». J'ai la désagréable impression qu'il voudrait bien répéter de ne pas ouvrir, de laisser ce paquet, mais qu'il se retient.

— Et alors ?

Ben, j'ouvre la petite boîte et là, nichées dans un coussin de satin rose une petite timbale en argent, une cuillère toute ronde et douce, une clochette du même métal qu'entoure une frise de petites fleurs. Elle produit un son cristallin et doux comme une caresse. La timbale est gravée « Pour Linette de son papa qui l'aime. Jean ».

Tu comprends maintenant ce que je voulais dire avec « ce carton contient notre avenir. »

J'ai refermé la boîte, je l'ai remise dans le carton, j'ai bien calé l'objet avec le papier froissé, j'ai remis du scotch sur les collages successifs, j'ai recollé l'étiquette qui a encore essayé de me rouler. Avec un stylo noir j'ai fait disparaitre mon nom et j'ai entouré le gribouillage de points d'interrogation. 

— Et alors ?

Et alors, que voulais-tu qu'il se passe ? Je ne suis pas enceinte…

Le soir, je suis rentrée plus tôt et quand il est arrivé il faisait une drôle de tête. Je lui ai tendu la boîte et je lui ai dit « tu as ton avenir entre les mains ». Il a tenté de s'expliquer mais qu'aurait-il pu dire. J'ai sorti les valises, toutes celles que nous avions et j'ai commencé à les remplir.

  • Très dynamique vivant, le texte roule tout seul, on visualise parfaitement les réactions des persos, tip top merki nickie

    · Il y a environ 6 ans ·
    P 20140419 154141 1 smalllll2

    Christophe Paris

    • Je suis toujours contente quand tu passes par mes textes… A bientôt même si je ne suis pas très présente

      · Il y a environ 6 ans ·
      Avatar

      nyckie-alause

    • No problème pas necessaire de passer je t assure moi aimer venir lire chez toi :)

      · Il y a environ 6 ans ·
      P 20140419 154141 1 smalllll2

      Christophe Paris

  • lu jusqu'au bout mot après mot sans sauter de lignes...remplir avec mes ou ses..?

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Dsc00086

    mada

    • La décision est laissée à l'appréciation du lecteur… Merci de ta lecture

      · Il y a environ 6 ans ·
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      nyckie-alause

  • Excellent, tu as l'art de nous tenir en haleine et l'analyse psychologique de tes personnages est toujours un régal. .. toujours un plaisir de te lire...Merci Nickie

    · Il y a plus de 6 ans ·
    W

    marielesmots

    • Merci de ta fidélité et de tes commentaires… A bientôt

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      nyckie-alause

  • De passage et je découvre ton texte. J'aime beaucoup, bon rythme et très fluide. Merci pour ce bon moment de lecture.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

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