Légataires universels

matt-anasazi

LÉGATAIRES UNIVERSELS

Maître Mark Fujikawa prit une longue respiration.  La famille de Sir Walter O’ Reilly était mollement assise dans les luxueux fauteuils de son cabinet. Les tartans des kilts traditionnels rehaussés de soie, leurs plastrons incrustés de pierreries, les pipes et les fume-cigarettes d’ivoire, toute leur apparence empestait la vieille aristocratie enrichie depuis des temps immémoriaux. Il réprima un rictus de mépris devant la mine  impatiente de certains : lui n’était pas sorti de la cuisse de Jupiter mais il avait le pouvoir de faire durer leurs tourments, d’attiser leur impatience. Comme la fois où les Warburton s’étaient quasiment écharpés en pleine…

« Pouvons-nous commencer, maître ? », souffla Ryan l’aîné, la mine ravagé par un tic nerveux d’impatience. Le notaire leva un sourcil, respira une nouvelle fois puis baissa les yeux.

Moi, Walter O’Reilly, sain de corps et d’esprit, m’apprête à céder mes biens dans leur intégralité à mes légataires universels, à mes enfants. Le partage de ma fortune se fera selon la raison la plus élémentaire  mais pour mes biens, je prendrai quelques dispositions supplémentaires.

À mon fils aîné Ryan, revient l’entreprise familiale. Elle a fait la fortune de la famille. J’entends qu’elle continue à rester le fer de lance de notre patrimoine. Je lui laisse également les avantages liés à son statut de PDG de l’entreprise. Il pourra donc parader comme il l’a toujours souhaité dans nos riches véhicules, se montrer sur le yatch hérité de la glorieuse période de la marine à voile.

Ryan parut soulager mais son regard aux paupières tombantes cherchait encore des réponses dans la suite du testament.  À la lumière de la pièce, une buée de sueur brillait d’un éclat jaunâtre sur son visage.

À ma fille Meav, je lègue ma résidence principale, le château familiale. Je la sais friande de vieilles pierres et d’histoire. Du moins est-ce le souvenir que j’ai gardé de ma fille, avec la mémoire de père attendri par ses remarques enfantines.

Maître Fujikawa regarda Meav O’Reilly-Gordon.  Comment la blonde superficielle à la peau tirée pourrait-elle correspondre à la fille décrite dans le testament ? Elle ne cacha pas sa déception et son dédain pour le cadeau paternel. Le fume-cigarette arriva à sa bouche en tremblotant, de nervosité sans doute.

Kennedy, le dernier né, héritera de mon impressionnante flottille de voitures d’époque. Je crois savoir que ce petit cabotin adore se montrer dans une belle carrosserie flambant neuf. Il aura au moins un peu plus de prestance dans une de mes voitures de collection.

Le dernier nommé fixait depuis le début de la lecture ses chaussures, l’air perdu.  Le notaire se demandait ce qui pouvait le mettre dans un tel état d’hébétude : tristesse ? Abattement ? Le notaire chassa de son esprit les ragots à l’égard du benjamin sous les regards empressés de ses aînés. Il sembla chercher la ligne, sourit.

Enfin, avant de finir, je tiens à expliquer la raison de mon dernier don. La technique moderne permet des merveilles… uniquement à ceux qui peuvent y mettre le prix. Cette injustice reste inadmissible, surtout que j’ai été élevé dans un XXème siècle où l’on avait conscience du prix de la vie et de la valeur de la santé. De nos jours, les excès peuvent être gommés par une thérapie génique, les tares génétiques effacées d’un coup de baguette eugénique… Merci aux aventuriers du génome. Aussi pour éviter que les pauvres aient à souffrir de leurs problèmes alors même que les riches n’en ont cure…

Maître Fujikawa leva la tête, un sourire énigmatique aux lèvres. « Je tiens à vous préciser que M. votre père a insisté pour que je marque ce temps d’arrêt. Je vous laisserais vérifier sur le document original si vous le souhaitez. »

Aussi, disais-je, vais-je léguer la totalité de ma fortune ainsi que toutes mes cellules souches stockées dans plusieurs comptes dans des paradis fiscaux à l’UNESCO. Avec ordre formel de ne s’en servir que dans des zones de conflit et de famine.

Le notaire adressa un remerciement muet à Sir Walter. La joie de voir la mine défaite et les cris d’effroi de ses rejetons abâtardis de privilège ne serait que broutille face à celle de se sentir utile au monde.

  • Merci, Rafistoleuse ! J'espère avoir répondu au thème aussi bien que les autres participants car le niveau est très relevé !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Ah mais c'est carrément bien mené, jusqu'à la chute, imparable ! J'aime beaucoup !

    · Il y a presque 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • Ahah, je crois que je serais dans le même état que Fujikawa en lisant ce testament ! Bien joué Walter ! J'aime beaucoup :)

    (Et Oz est aussi une bonne référence ^^)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Non, Octobell. Il s'agit d'un nom typiquement irlandais qui m'est venu. "Oz" ne fait pas partie de mes références télévisuelles. Je suis plus X-files.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Rha bon, je ne fais que passer vite fait, et promis je lirai ça plus en détails tout à l'heure... mais Ryan O'Reilly... C'est fait exprès la référence à Oz ? ^^

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Merci pour les compliments. Je ne t'oublie pas, Psycose !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Bravo, belle écriture ! La chute est vraiment pas mal ! Les noms sont bien trouvés et puis çà correspond effectivement bien selon moi aux règles du défis. . .Ce testament fut malgré tout une tristesse pour ses enfants mais pas pour les mêmes raisons °_°

    · Il y a presque 11 ans ·
    Mains colombe 150

    psycose

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