Légende

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    Un soir maussade, F. me raconta le plus beau jour de sa vie. Il était installé avec une irlandaise sous le porche de son humble chalet du côté de Southampton. Ils prenaient le café à l'abri de la fine pluie d'été lorsque le postman, une fois n'était pas coutume, vint à sa rencontre. Certainement attiré par la blondeur de cette Marilou from Elite International Model Agency et major de sa promotion de médecine, qui lui servait de fiancée, il lui remit une lettre en main propre. Eberlué, F. reconnut illico l'écriture de Marcel Moreau. Il n'oublia jamais ce matin de bonheur intense, où, après une nuit d'amour, il parcourut, la tête de la belle sur son épaule, les pensées de l'écrivain.


Il bénit aussi cet après-midi d'avril, deux ans auparavant, où il pénétra la librairie Vents du Sud à la recherche d'une réponse au désastre survenu deux mois plus tôt dans sa vie et qui lui brûlait le ventre. Parti de France pour vivre avec une autre blonde à Portsmouth, un ignoble cadeau empoisonné l'attendait le jour de son anniversaire, à peine sorti de sa prison: dans la tête de sa promise le désengagement s'amorçait. De plus son entretien à l'université se solda par un échec. L'enfer s'ouvrait sous ses pieds. Il noya ses illusions dans le pub le Festing qui avait perdu son air grivois. Adoration de Nona, premier livre de Moreau qu'il decouvrit, fut sa seule consolation.


A Paris en Mai de la même année, pour assister au Printemps des Poètes, F. eut l'immense bonheur de rencontrer l'écrivain par hasard deux mois seulement après avoir trouvé Adoration de Nona à Aix-en-Provence. Moreau lui offrit Extase pour une Infante Roumaine qui est l'une des plus belles déclarations d'amour jamais écrites. Ce fut le début d'une amitié qui vit F. rendre visite à l'auteur dans son antre, son précipice parisien. Toujours à Paris il reçut une invitation pour un entretien à l'Université de Southampton. La perspective d'avoir une deuxième chance en Angleterre était à double tranchant: Southampton était un peu trop près de Portsmouth.


Le vol Paris / Southampton aller / retour via Air France coûtait la bagatelle de 500 euros mais F. se jeta à l'eau. Bien lui en prit car ce coup ci fut le bon et à tout compter, Southampton étant une bien meilleure université que Portsmouth, il ne perdit rien au change; et peu importait la proximité du passé: la blonde de Portsmouth avait déjà émigré sous d'autres cieux. Son destin de prof pouvait s'accomplir et ses déboires s'effacer.


Ce ne fut pas tout. Vite connecté au milieu des artistes locaux, F. eut l'idée de réunir ce beau monde de nuit dans un café chaleureux où ils avaient l'habitude de se retrouver de jour pour refaire le monde. Le succés de ces soirées artistiques dépassa de loin ses attentes et la ville commença à parler de lui. Vint alors ce mémorable jour de Février. 3 ans après le désastre de Portsmouth, Giaco (1), un des plus méconnus vrais artistes de Southampton, réalisa son meilleur tableau pour louer l'impact spirituel de F. et vit la presse répertorier l'évènement. Bien avant que le peintre et notre anti héro se rencontrent, la toile vierge de 2m sur 1m20 fut trouvée à Portsmouth dans le bien nommé Grave Diggers qui fait face au…Festing.


Et que dire de J. ce guitariste des Ardennes avec qui F. interpréta une version canon de ''La canción del Mariachi'' qui mit le feu aux poudres dans les pubs de Southampton? Un soir, après un délire au champagne, ce tube aux sonorités mexicaines déclencha l'hystérie au Railway Inn de Winchester. F. reçut même les chaleureux hommages d'un punk pour le bonheur improbable qu'il lui procura tandis que d'autres groupes tentèrent d'enroler le guitariste prodige.


Cela ressemble à s'y méprendre à un conte montecristesque et F. ne saura jamais assez gré à Moreau de lui fournir un inépuisable souffle. Comme des talismans, ses livres l'accompagnèrent en ces prolifiques années. Ils le reconcilièrent avec la littérature et le confortèrent dans sa quête spirituelle, régulant le balancier de cet incertain pallier où il se tenait...jusqu'à ce que le vent mauvais revienne. Désarticulé par les premisces du brexit et rattrapé par son passé, F. n'eut d'autre recours que d'achever son aventure anglaise.

 

Il retourna en France. C'est ainsi que je le rencontrai lors d'un colloque sur Marcel Moreau, que je decouvris donc et qui, sans être mon auteur préféré, m'enthousiasme beaucoup. Je n'eus alors de cesse de fréquenter F. dont l'envoûtante personnalité et la rocambolesque vie sont une source d'inspiration pour mes modestes textes.


F. m'a confié qu'il ne sera jamais un écrivain, un chanteur ou un acteur et encore moins un peintre même s'il vendit les 3 seuls semblants de tableau qu'il ait jamais peints. Mais il est un chef de file avec une foi sans partage pour un idéal de règne artistique qu'il m'a transmis. Il sait qu' il a quelque chose à dire, une fois pour toute, plutôt que de se répéter dans un tas de livres. Il est possible qu'il accouche un jour de ce quelque chose sous la forme d'un film, qui(e) pourrait précéder un livre. Une seule oeuvre qui, il le sait, peut ne jamais voir le jour.


F. passe son temps à encenser et parfois révéler ce qu'il appelle les vrais artistes, ceux capablent de pondre regulièrement des oeuvres d'art, et son abnégation force le respect. Mais quelques uns pêchent au niveau de l'esprit. On ne peut pas tout avoir: le talent de Ridley Scott et l'esprit de John Cassavetes. Cependant à quoi bon écrire, filmer, peindre, jouer ou tout simplement vivre de facon remarquable sans pouvoir se démarquer de ce qui fait de ce monde infesté d'hommes cupides un tas d'ordures?


La mission de F. est d'haranguer les troupes, les alerter, les détourner d'une voie déliquescente qui conduit tant d'êtres y compris des artistes, à la prostitution ultralibérale. Pour lui l'esprit compte avant tout et la seule oeuvre qui au fond de lui prend peut être forme, a pour but de catapulter cet esprit au plus loin.


Tout fout le camp. Nombreux sont ceux qui en ont conscience, mais la plupart se résigne ou finit par s'admettre en marge. Jusqu'où doit on subir? Marcel Moreau et les autres monstres dans son genre qui osent l'absolu sont des artistes à part entière que l'on devrait ériger en exemple et qu'il faut refuser de considérer comme marginaux ou secrets. Les petits esprits rejettent dans l'ombre ceux qui portent en eux la lumière.


Dans ce monde mécanique les bricoleurs des bas fonds tirent leur épingle du jeu et entraîne l'humanité à sa perte. Mais l'humanité, ne l'a-t-on pas déjà tuée au travers des massacres de populations dites primitives qui, loin d'être parfaites, avaient plus de dignité que nous n'en aurons jamais plus?


Tant que nous ne parviendrons pas à réunir plus de fidèles sous la bannière d'un état d'esprit qui n'admet aucun compromis avec le nonsens, il y aura toujours un côté vain à nos œuvres. Et à la vie. Et même s'il faut continuer de créer et d'exister, il est urgent de travailler avec une détermination sans faille pour expandre cet état d'esprit qui privilégie l'humain et non la machine, l'être et non l'avoir, l'art et non la prostitution, l'honneur et non la trahison, la liberté et non la soumission, l'amour et non la haine.


1: https://www.instagram.com/giacoartanddesign/?hl=en


                                                                                      2008


Illustration:  ''Le Résistant Artistique''. Giaco.

Musique: La Canción del Mariachi 

https://www.youtube.com/watch?v=w5fLGWrHouk

  • Mettre en avant l'intelligence émotionnelle, le savoir vivre ensemble et l'entraide. Penser collectif. L'union ferait la force si les gens osaient penser par eux-mêmes...

    · Il y a plus de 2 ans ·
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    sophiea

    • Oui c'est bien de cet état d'esprit là dont nous parlons ici. Avec une pincée de panache, propre à la fougue de la jeunesse. Sans prétention. Mais avec la "foi".

      · Il y a plus de 2 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • en lisant votre texte je comprends un peu mieux le pourquoi de mon inspiration absente. Putain comme je me sens fatigué !

    · Il y a environ 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • Quel bel engagement dans la vie. C'est ça, être un héros. Sur des champs de bataille invisibles, sans soldats et sans armes mais avec des combats tout aussi vitaux et capitaux.

    · Il y a environ 5 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • C'est bien ce combat là le plus important, merci!

      · Il y a environ 5 ans ·
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      enzogrimaldi7

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