Les 3 portes...

Caïn Bates

       Il y a de ça quelques années, quand j'étais encore dans la chambre aux 4 murs blancs, une petite fille aux longs cheveux noirs me rendait souvent visite. Bien que sa douceur m'apaisait,  je savais au plus profond de moi qu'elle été un mauvais présage. Du plus loin que je me souvienne, elle a toujours été là dans les pires moments: l'accident de voiture qui a fait de moi un orphelin, les quelques semaines de brouillard qui ont fait apparaître toutes ces voix, la nuit où j'ai vu mon soleil s'éteindre, ce jour où j'ai croisé Caïn dans le miroir de ma chambre. Je ne sais pas encore si c'est elle qui provoquait tous ces événements ou si elle était mon ange gardien. 

       Un matin, elle s'est assise au bout de mon lit et s'est mise à sangloter. J'étais encore une fois dans les vaps, c'était mon quotidien à l'époque; avaler, se retenir de vomir, colmater, subir une autre journée, s'imaginer mourir pour renaître le lendemain. Ses longs cheveux de soufre couvraient son visage blafard, ses doigts squelettiques s'enfonçaient dans le drap immaculé sur lequel ses larmes s'écrasaient comme des comètes. Elle a dû sentir que je tentais de me redresser car elle a bondi sur moi pour m'empêcher de vaciller. L'arrière de mon crâne heurtait le mur quand ses lèvres se sont posées sur les miennes. 


        "Tu vas mourir ici, je suis désolée."


     Elle a ensuite balayé le contour de ses yeux d'un revers de main avant de reprendre sa place. Son regard était froid, l'expression de son visage était glaciale. D'ailleurs, quand elle était présente, le monde plongeait dans un hiver infernal, toute vie semblait s'échapper autour d'elle.


      "Ils ne te laisseront jamais sortir d'ici, ils t'auront à l'usure. Ils t'injectent du poison, tu dépéris à vue d'oeil, t'as l'air d'un cadavre."


     Il ne fallait jamais lui répondre, elle me faisait plus flipper que tous les avis des médecins. Et puis, elle n'existait pas de toute façon, c'était juste une illusion de ma psyché malade. 

   

   "Je dois te laisser, on se reverra en bas. Tu trouveras le chemin tout seul, tu verras."


       Elle m'a adressé un sourire charmeur avant de se lever et de sortir de la chambre, croisant l'infirmière et son aiguille affûtée.


                                * * * * *


          Aujourd'hui, cela fait des semaines que la gosse n'est pas réapparue. J'ai retrouvé peu à peu l'usage de mon corps mais pas tout à fait celui de mes pensées, tout est encore un peu embrouillé. Cet endroit n'est pas très stimulant, il faut dire que ça facilite leur travail. L'hôpital est un pâturage et nous sommes des moutons,  les psys sont des bergers et leurs drogues sont des clébards qui nous "aident" à retrouver notre chemin. Mais, il y a ce parc autour du bâtiment et il paraît qu'on peut s'y promener si on se tient à carreau. Malgré toute coopération, je reste enfermé dans ces couloirs aux allures labyrinthiques. Je dois tenter de sortir, ne serait ce que quelques minutes. 

       Journée ensoleillée, nous sommes autorisés à sortir, munis de leurs horribles bracelets. À la limite, ils auraient pu écrire au marqueur "tarés" sur nos fronts mais bon, au moins ça permet de changer d'air. On s'ennuie, pourtant j'apprécie tellement ces moments de solitude et de tranquillité en pleine nature mais là, c'est comme être un oiseau qui sait qu'il devra retourner en cage mais qui ne peut pas s'enfuir à cause de son aile en miettes. En entrant,  je profite de mes "camarades d'infortune" plus atteints que moi pour détourner l'attention du personnel. Je sais qu'il y a un abri condamné dans un coin du parc, la gosse m'y avait déjà conduit avant qu'on m'interne.


        "Rappelle toi, suis les miaulements du petit chat." 


         Je me demande ce qu'il leur etait arrivé à ces chatons, ils ont disparu du jour au lendemain mais,  je me rappellerais toujours de ces petites boules de poils qui jouaient avec les branches arrachées des saules à proximité. La cabane est aujourd'hui en piteux état, le genre d'endroit où les psychopathes cachent leurs matos et leurs trophées, peut être qu'elle est utilisée par l'un des patients, ça serait le comble. Une odeur rance de pourriture embaume les alentours, ça apporte un charme certain au crépuscule. Au loin, j'entends les coups de sifflet annonçant la fin des permissions, à partir de maintenant les médocs assomeront les retardataires, c'est pas si mal en fin de compte. Je me couche parmi les débris de bois et de ferrailles, un putain de nid à bactéries et d'infections. 


         "Ouvre la trappe, le souterrain mène vers la cantine. Peut être que tu te feras pas chopper."


         La gosse veut jouer, parfait. Qu'est ce que je risque au final?! J'ai pris ces risques de mon propre chef, à moi d'assumer à présent. La trappe résiste pendant quelques minutes, les échardes s'accumulent dans mes phalanges, j'attends avec impatience ma dose, ça va être magique. Une fois ouverte (le bois pourri ayant fait la plus grande partie du boulot), je m'aventure dans un couloir assez sombre mais tout de même pratiquable. L'aile doit être abandonnée, des cadres abîmés trônent ci et là sur les murs crasseux qui puent la charogne et la moisissure, si j'avais su que cet endroit pouvait être si intéressant, un lieu parfait pour l'exploration urbaine. J'abandonne l'idée de suivre les fléches indiquant les blocs et l'acceuil, les travaux de rénovation sont bien trop récents. Mais, je sais que je suis sur la bonne voie, j'entends les roues grinçantes des chariots accompagnées des claquements de talonettes juste au dessus de ma tête, on approche du couvre-feu. Pas de dîner aujourd'hui 

         Mes jambes fatiguent, j'ai trouvé l'accès vers le service actuel des infirmiers, malgré le risque d'apparaître à cette heure dans les couloirs, la porte était barricadée et je dois maintenant trouver une autre issue. Les fenêtres sont quasi toutes emmurées ou communiquent avec d'autres pièces. J'ai la dalle, je crève de froid, je suis en manque, j'ai envie de crever. L'envie de m'enfoncer ce métal dans la chair, tous ces bons souvenirs de complétion, ce sentiment de bonheur quand le sang brûle les plaies. Ils ont échoué, tous autant qu'ils sont, je les entends encore, ils me disent quoi faire,  au diable la survie. De toute façon, ils sont sûrement en train de me chercher, le chaos que ça donnera quand on trouvera mes restes décomposés collés contre le mur. La mort, c'est la vraie leçon de la vie. 


                                   * * * * *

          

       Y'a comme une odeur de bouffe dans certains couloirs, ces raclures de chiens de garde doivent encore manger, putain ce que je les haït. Je suis prêt à en massacrer un ou deux là, juste pour me mettre en appétit. Je profiterai de leur surprise pour frapper encore et encore avec l'un de ces morceaux de métal rouillé. Mais oui, c'est ça, putain mais c'est la morgue. Toute cette énergie enivrante, ces ombres qui rôdent, ces bruits qui résonnent, c'est un signe. L'adrénaline s'empare de moi, je vais trouver un moyen de sortir d'ici, il suffit de suivre l'air glacé et de fondre sur le premier infirmier que je croise, qu'est ce qui peut se passer, ils vont m'interner?! Au loin, je vois une porte qui semble encore en service, je me précipite vers elle, de la lumière!!! Le couloir mène à un immense escalier en colimaçon, j'imagine que je suis au sous-sol, je dois donc m'élever d'un ou deux étages.

         Les 33 premières marches donnent sur une première porte blanchâtre: "Naissance". Je ne me rappelle pas qu'il y ait un service de maternité, peut être ais-je traversé tout le terrain. Ces pauvres mères n'ont pas besoin de plus de stress, je vais monter et traverser le palier du dessus 

        Les 40 prochaines marches mènent à une porte en métal: "Corridor des papillons". Donc on est bien en psychiatrie, la division à laquelle je suis affectée fait tout le second étage, ma chambre ne doit pas être loin. Je pousse la porte, verrouillée, bien sûr. J'entreprends de descendre vers la maternité mais les marches semblent se dégrader de plus en plus. Bon,  essayons l'étage suivant 

       60 marches de plus, mes jambes tremblent quand je jette un oeil au dessus de la rampe. L'escalier s'arrête là, pas de palier, juste une porte en acier noir entrouverte. C'est sûrement un ancien escalier de secours. Un panneau affiche "Adieu" et la porte se met à grincer d'elle même. J'entre sans broncher, pas d'autre choix. Un morceau de ferraille camouflée dans mon poing serré, j'avance d'un pas méfiant à la recherche d'une indication sur l'aile dans laquelle je me trouve. 


     "J'avais dit en bas, tu te rapelles?! Redescends maintenant..."


         À quoi bon, je rebrousse chemin jusqu'à la porte. Elle donne à présent vers un gouffre sans fond. 


      "J'ai trouvé le fuyard, il est au service trauma. Je l'amène dans sa chambre."


      Non,  plutôt crevé. Je bondis sur lui et lui ouvre la gorge et observant son regard s'éteindre. Bande de lâches, je vais les emmener avec moi. J'aggrippe le col de sa blouse et le traîne difficilement vers le gouffre avant de le pousser d'un bon coup de pied dans le flanc. Son corps chute lourdement en disparaissant dans la pénombre. Mon plaisir fut de courte durée, mes côtes me font mal, un peu comme si une centaine de personnes me tabassaient.


          "Adieu"


          Un immense coup me fracasse le crâne et me fait perdre l'équilibre. Il n'y a plus que ce gouffre qui me fait face, ce vide. Qu'est ce qui m'attend, la mort?! La réincarnation?! J'aimerais être un papillon. Je redoute le sol dur qui m'attend. Mes yeux se ferment... 


     Du plus loin que je me souvienne, cette gosse a toujours été là dans les pires moments: l'accident de voiture qui a fait de moi un orphelin, les quelques semaines de brouillard qui ont fait apparaître toutes ces voix, la nuit où j'ai vu mon soleil s'éteindre, ce jour où j'ai croisé Caïn dans le miroir de ma chambre. Je ne sais pas encore si c'est elle qui provoquait tous ces événements ou si elle était mon ange gardien. 

       Un matin, elle s'est assise au bout de mon lit et s'est mise à sangloter. J'étais encore une fois dans les vaps, c'était mon quotidien à l'époque; avaler, se retenir de vomir, colmater, subir une autre journée, s'imaginer mourir pour renaître le lendemain. Ses longs cheveux de soufre couvraient son visage blafard, ses doigts squelettiques s'enfonçaient dans le drap immaculé sur lequel ses larmes s'écrasaient comme des comètes. Elle a dû sentir que je tentais de me redresser car elle a bondi sur moi pour m'empêcher de vaciller. L'arrière de mon crâne heurtait le mur quand ses lèvres se sont posées sur les miennes. 


        "Tu vas mourir ici, je suis désolée."

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