Les autres mots

Ferdinand Legendre

Parfois, quand le ciel se couvre d'opprobre, que les commentaires pleuvent sur nos murs effrités, mines déconfites, que la marmaille tire sur la robe de la république au point de la déchirer, qu'il revient de participer au concours du plus outré, du plus indigné, du moins soumis, parfois nous n'avons pas les mots.
Nous ne savons que dire et nous n'avons pas envie de dire car tout devient vulgaire, dépassé, trop simpliste ou trop plein d'emphase, trop obscur ou trop douteux, surtout perpétuellement vain.
Il faudrait pour raisonner jouer ce jeu aux règles lunatiques, s'intéresser à la politique afin de proposer autre chose qu'un avis calqué sur la pensée d'autrui ou une diatribe faite de fragments d'idées amassées ça et là après la bataille. Il faudrait autre chose que de recycler des pavés noyés, surannés.
Je n'ai pas envie de jouer ce jeu, ni l'envie ni la capacité. Il y a, dans la barque politique, une immanquable manipulation qui navigue en dehors de mes eaux. Plutôt que de se prononcer dans l'instant, il est souvent préférable de prendre du recul, mais prendre du recul prend du temps, et le temps est un luxe. La houle actuelle (je m'excuse de filer ainsi, veuillez accepter quelques liquidités en dédommagement) nous mets face à nos propres égoïsmes, comme n'importe quelle crise, ni plus ni moins. Mais désarmés, car trop paresseux, il faut trouver d'autres ressources pour parvenir à s'exprimer lorsqu'on en ressent le besoin.

Ils jaillissent alors, sortent de l'ombre afin de rendre justice, riant sous capes de toute l'espièglerie qu'ils cachent, ils crachent, pissent, vomissent napalm, acide, cyprine, urine et quelques autres liquides en grandes quantité. Sans se restreindre et dans une joie communicative. Ce sont les autres mots. Ceux qu'on glissent entre les dents, qu'on mâchouillent machinalement, ceux qui nous sautent à l'esprit comme des singes sémantiques, ceux qui viennent entre nos nuits, ceux des liens qui nous unissent. Les mots-clefs aéronefs, qui volent à vive allure, qu'on peut attraper d'une main, mais qu'il faut bien malaxer, digérer, parfois enfouir, quand ce sont des mots secrets.
Ceux qui selon dans la phrase, l'endroit où ils sont placés, s'habillent différemment, se déguisent parfois, jouent des coudes afin de reprendre leur souffle, au dessus de la foule.
Voilà tous ces petits mots, pliés parfois repliés, qui viennent nous quémander, quand à quai se dissimule l'inévitable.


Aujourd'hui ils se font traînées de soupirs, bouts de verres , craquelant sous les pas. Autant de fissures qui se détachent des ombres, aux fenêtres, laissant deviner une ciel absent, jaunis, suffocant. Avec le temps, les sentiments deviennent réactions sentimentales mais, même après l'usure, continuent d'offrir, à la manière de la pierre vieillit se recouvrant de mousse.

En tout cas c'est ce qu'ils me disent.


Au dessus de mon épaule, ils me sifflent quelques tournures, parfois tournoient eux-même et vont se repaître de ce qu'ils trouvent. Un peu de soleil après une longue période froide, quelques amitiés et déceptions, rarement des regrets.


Bien sûr, on risque toujours la surface, je crois qu'ils me tirent juste en dessous. Je la distingue , comme quand, à la mer, on observe le monde d'au dessus trembler en profitant du silence.

Les rayons parviennent encore à passer à cette profondeur, à la lumière, ce que j'écris demeure compréhensible.

  • j'aimerai bien connaitre tes influences littéraires..si ce n'est pas trop demander ? Personnellement je retrouve dans ton lyrisme un peu de Christian Bobin

    · Il y a presque 7 ans ·
    Weekendplansnewest

    mlleash

    • Je lis peu d'auteurs Francophone, je suis plutôt américain en littérature mais ma culture est moindre. Mes chouchous sont Bukowski et Donald Ray Pollock et ensuite je bouffe tout ce qui est un peu dans la veine de ce dernier, type polar rural ou subversif de manière plus générale. Mais, paradoxalement, je ne dirais pas qu'ils m'influencent en technique d'écriture. La plupart du temps je lis des traduction donc la forme est biaisé. Je dirais que mon style s'est fait à force de pratique mais il découle moins d'une influence que de son certain nombrilisme.

      · Il y a presque 7 ans ·
      9005 10153165646631840 626126078089679787 n

      Ferdinand Legendre

    • je ne suis pas très polar, mais je me laisserai peut être tenter !

      · Il y a presque 7 ans ·
      Weekendplansnewest

      mlleash

    • Ton dernier texte laisse à penser que tu ne seras pas insensible à la puissance évocatrice noire de Pollock. procure-toi "Le diable tout le temps", tu m'en diras des nouvelles.

      · Il y a presque 7 ans ·
      9005 10153165646631840 626126078089679787 n

      Ferdinand Legendre

    • ok, je note !

      · Il y a presque 7 ans ·
      Weekendplansnewest

      mlleash

  • A chacun son métier, et si on se contentait de bien faire le nôtre et d'arrêter de lorgner les autres?
    Ou alors je n'ai rien compris à votre écrit!

    · Il y a presque 7 ans ·
    1338191980

    unrienlabime

  • "Les mots qui nous sautent à l'esprit comme des singes sémantiques", ahah, j'adore.

    · Il y a presque 7 ans ·
    Profil fbk

    Cé Bé

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